[Une prof en France] Orthographe : accrochez-vous !

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Je vous avais parlé, dans une précédente chronique, du brevet blanc qu'avaient passé nos élèves de 3e. Le sujet d'histoire avait suscité quelques commentaires… J'ai corrigé une partie de l'épreuve de français et j'ai trouvé, cette semaine, dans mon casier, les copies qu'avaient corrigées mes collègues. Quelle n'a pas été ma stupeur en découvrant les notes de mes élèves. Une de mes collègues a adopté une notation plus que généreuse. Je crois que son paquet doit avoir une moyenne avoisinant les 15. Elle a donc trouvé les copies de nos chers petits enthousiasmantes. Je vous laisse juges.

Je me demande bien où ma collègue a trouvé ses points.

Les candidats devaient analyser un tableau de Boris Taslitzky intitulé « Le Petit Camp de Buchenwald » et on leur demandait quels sentiments faisait naître ce tableau. Voici ce que j'ai lu : « Ce tableau fait n'aitre de la peur, de la pitié car pour representer les personnes Borris Taslitzky les sa fait en squellete est il y a aussi le nombre de personne sur la bouette qui fait peur parce que quand on regarde les personne au troisieme plans on peut voir que il reste encore il y a des ta de personne morte. » J'en ai parcouru des dizaines, des copies de ce genre. Je me demande bien où ma collègue a trouvé ses points. Après, je comprends la logique suivie : si l'on note les élèves à leur vraie valeur, on obtient une moyenne de 3 à l'examen. Or, nous devons nous employer à avoir une moyenne correcte, car si nos élèves ont des dossiers vraiment trop mauvais - c'est-à-dire des dossiers reflétant leur niveau réel -, ils ne seront pris nulle part l'an prochain et nous devrons donc les garder, ce dont nous n'avons nulle envie et ce que nous ne pouvons, de toute façon, pas faire par manque de place et d'enseignants.

J'ai demandé à mes élèves de me citer les noms de six auteurs de théâtre...

Mes collègues me rappellent qu'on ne peut pas corriger ce qui n'a pas été fait correctement au cours des dix années précédentes et que l'on ne peut que gérer le flux permanent d'élèves transitant par nos classes sans fournir le travail nécessaire pour tirer profit des cours qu'ils suivent sans les écouter ni les apprendre. J'ai demandé à mes élèves de me citer les noms de six auteurs de théâtre. La plupart d'entre eux n'en ont cité aucun. Je leur ai alors demandé s'ils trouveraient normal que quelqu'un travaille pendant dix ans dans un garage et ne puisse pas citer six marques de voitures… ou s'ils pouvaient concevoir que quelqu'un travaille dix ans dans un club de foot et ne puisse pas citer le nom de six joueurs. Pourquoi donc restent-ils ainsi totalement imperméables à la culture transmise par l'école ? Certains semblent modelés par des schémas bourdieusiens : ils n'adhèrent pas à ce qui est pour eux une culture de classe, une culture que l'on n'a pas réussi à leur rendre désirable.

Ils restent toutefois très créatifs.

Comme ils ont peu de vocabulaire et de connaissances (j'ai dû, cette semaine, leur expliquer ce qu'était du papier buvard, ce qu'étaient les permissions accordées aux soldats et contre qui on s'était battu pendant la Première Guerre mondiale), ils doivent souvent improviser. Dans la dictée, Primo Levi racontait son arrivée au camp de concentration et la douche qu'il avait pu prendre et qui lui avait offert « cinq minutes de béatitude ». Cela a donné : « D'un seul coup, l'eau geaille des conduites, bouillant : cinqs minutes de paix attitude » ; « d'un seul coup, l'eau jait des conduites, bouillante : cinque minutes de baie aptitude » ; « d'un seul cout, l'eau jahit, bouillante : cinq minutes de pénalty tude ». Et quand Primo Levi parle d'« individus vociférants », cela devient « faut s'y fairant », « faussifèrent », « vos si férant » ou « v'aussi fèrent ».

J'ai pitié de vous : je ne vous recopie pas les rédactions. C'est à se pendre. Mais tout va bien dans le meilleur des mondes : ma collègue a distribué des 15 et des 16 à mes élèves, ils seront ravis et ils n'écouteront ni mes réprimandes ni mes incitations au travail, vu que, de toute façon, « ça passe » !

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 01/04/2024 à 19:46.

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Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

Vos commentaires

77 commentaires

  1. Vieux prof, j’ai eu des CAP 1ère année mécanique début des années 70 : ils écrivaient et comptaient mieux que mes élèves de 2onde générale et technologique de 2009, année de ma fin de carrière !

  2. … je disais donc j’apprends l’anglais, que je parle toujours, on étudie Molière, la civilisation grecque. A 16 ans je suis bachelière. Je ne me vois pas comme une exception, plutôt comme une élève douée entourée par des professeurs compétents. C’est dire si je suis atterrée par tout ce qui se passe actuellement à l’école, et surtout par ce qui ne s’y passe pas.

  3. Moi j’ai quitté l’école à 14ans. Et pourtant, j’étais toujours dans les 3 premiers en maths en physique et en français (sauf en histoire-géo). Je ne le regrette pas et voudrai faire la même chose si je recommençais. Sauf que ce n’est pas possible ! Quand va-t-on remettre la scolarité obligatoire que jusquà 14ans ? Les fameux « métiers en tension » réclament de la main-d’oeuvre. Et celà vaudrait mieux que de croupir sur des bancs d’école à n’apprendre que la fainéantise.

    • Nos grands-parents savaient lire, écrire et compter et le niveau de leur certificat d’études était nettement supérieur aux diplômes universitaires actuels !

  4. Souvenirs d’enfance – j’aurai 80 ans demain : je vais à l’école à la campagne où les deux classes sont divisées chacune en trois divisions. J’ai souvent le nez sur la division d’à côté. Résultat : à 5 ans, je lis couramment et je sais compter. Je lis l’heure également. J’écris tout pareil et proprement car ça ne rigole pas avec la plume et l’encre. A 9 ans, je regagne ma famille et la grande ville et on me fait sauter deux classes. Je passe un concours pour entrer en 6ème (reçue 3ème sur 180 candidats). A 10 ans, j’apprends l’anglais

  5. Jeunesse d’aujourd’hui c’est la France de demain !! Ce dont nous pouvons être certains c’est que nous ne sommes pas prêts à décrocher des prix Nobel !!!

  6. Il fut un temps ou à l’école c’était rigueur, respect et travail. Il y a ceux qui travaillent à l’école et ceux qui ne
    travaillent pas

  7. Tout est dit : 1) on ne veut pas les garder en les faisant redoubler et 2) De toutes façons : « ça passe » alors …Pas la peine de s’enquiquiner.
    Autant d’irresponsabilité se paie cher mais c’est voulu ou plutôt consenti puisqu’on ne veut pas dénoncer l’immigration d’une part ni le collège unique d’autre part.

  8. Voilà deux petites décennies, l’une de mes petites-filles (CM1) avait eu à rédiger un texte de quelques lignes, sur le thème « Qu’as-tu fait hier mercredi ». Toute fière, elle nous montre son chef-d’oeuvre, fort bien noté par l’institutrice. Mais lorsque nous avons tenté de lire sa prose, il nous a fallu lui demander, à chaque phrase, ce qu’elle avait voulu dire ; tout était quasiment incompréhensible et truffé de fautes. Le lendemain, notre fille (sa Maman) a demandé des explications à l’enseignante ; et la réponse, effarante, fut celle-ci « Je n’attache pas d’importance à la forme mais au fond ; l’essentiel est que l’élève s’exprime »…

    • Malheureusement c’est la norme… à tel point que lors des dictées de brevet – que je n’ai que surveillées – de nombreux élèves ne comprennent absolument pas ce qu’ils entendent et écrivent plus ou moins phonétiquement: c’est, ces, ses, pour eux, aucune différence puisque la prononciation est identique. Ajoutons à cela la pauvreté du vocabulaire et on se retrouve avec 40 ou 50 fautes par dictée (pour environ une quinzaine de lignes). Mais il est demandé en priorité aux correcteurs « de la bienveillance ». Ensuite la commission d’harmonisation s’occupe de gommer les trop gros écarts de correction. Et hop! Comme par magie, toute une classe d’âge a son brevet…

  9. Les rectorats sont plus occupés à étouffer les affaires comme celle de Samuel Paty que de redresser l’éducation national d’un niveau alarmant.

    • Malheureusement.
      Enfin, il existe encore des écoles sérieuses. Mes petits enfants semblent évoluer dans leurs apprentissage de la manière que l’on peut espérer. Cependant, ce que j’ai pu constater quand l’occasion l’en a été donnée, ce sont les quelques lacunes de leurs enseignants. Les accents ne semblent pas avoir d’importance, et autres détails oubliés…ils sont en école privée. Il existe forcement de bonnes écoles publiques. Mais, le problème est que ce qui se prooage le mieux, ce sont les erreurs.

  10. il y a plusieurs années j’ai accompagné des élèves de 3èmes dans un séjour en Allemagne ou ils étaient logés dans des familles Allemandes avec évidement un fréquentation de l’établissement scolaire de leur correspondant, en classe de Français, ce sont les élèves allemands qui corrigeaient les fautes des élèves français dans leur propre langue…. déjà !!! la honte absolue !

  11. Pitoyable, en effet… Ayant enseigné durant 31 ans les sciences à des élèves débutant le secondaire 1 (10-13 as, puis 11-14ans), je ne les ai pas « matraqués » pour les fautes d’orthographe. La consigne était simple : un mot dont le sens est changé par la faute (les poissons vivent dans la mère…), ou qui rend la phrase incompréhensible peut invalider toute la réponse.
    Le système scolaire vaudois de mon enfance permettait aux « bons » élèves n ‘étant pas entrés au « collège secondaire » (onéreux et nécessitant la réussite d’un examen d’entrée à 10 ans) d’accéder à la primaire supérieure à 12 ou 13 ans pour les 3 ou 4 dernières années de la scolarité obligatoire.
    C’est ainsi qu’à la veille de Noël 1955 le « régent » (instituteur) nous avais proposé, comme concours, la fameuse dictée de Mérimée. Ã treize ans et demi, je m’en étais tiré avec 1o fautes. Écrivant pratiquement sans faute à la main, je ne m’en sort pas aussi bien à l’ordinateur…

  12. Cela me rappelle une étudiante de 3ème année de pharmacie que j’ai eu en stage. Elle rédige un commentaire d’ordonnance sur l’angor, j’exige de le relire avant qu’elle l’envoie à la faculté de pharmacie. Je tombe sur cette phrase : « l’association d’un béta-bloquant, d’un anti-agrégant plaquettaire et d’une statine est le tripier du traitement de l’angor stable. » Je lui demande ce que vient faire le tripier en cardiologie. J’ai finalement compris qu’il fallait lire « trépied ». Ils ne lisent pas, c’est souvent l’origine du problème. Pas de vocabulaire, une grammaire inexistante, et le reste est à l’avenant. A leur âge j’avais un bouquin dans la poche pour lire dans le métro ou à la pause du midi, aujourd’hui ils ont le nez collé à leur smartphone. Ils sont devenus sourds, aveugles, muets et obtus, enfermés dans leurs réseaux sociaux qui les abrutissent d’inepties. Il n’y a pas que le shit qui leur grille la cervelle, le rôle des écrans est sûrement encore très sous-estimé.

    • Tout dépend de l’usage que l’on fait de son smartphone. Personnellement, j’apprends beaucoup avec ce véritable outil de travail. Évidemment, je ne traîne pas sur les réseaux dits sociaux… Et les liaisons ? On entend couramment prononcer, même à la radio, cent Zeuros et quatre-vingts Heuros ! C’est agaçant.

  13. <c'était déjà il y a 30 ans et pas dans le milieu scolaire mais au travail. Je m'occupe de logements sociaux. En fin de journée je reviens vers mon bureau et j'y trouve une info " inondation dans les caves de tel immeuble, appelé plombier". Bon, me suis-je dis, le plombier a été appelé, c'est bien, il se fait tard etc….. mais en fait, je devais appeler le plombier, il fallait m'écrire "appelez plombier" ou "appeler plombier"…. Ah, les conjugaisons !

  14. Quand un ministre de la République « jette l’eau propre » à l’Assemblée Nationale, devant des dizaines de députés, comment exiger de nos « têtes blondes » une orthographe irréprochable ? Le poisson pourrit par la tête, c’est pourtant bien connu.

    • Mon mari, 77 ans, lit énormément. Beaucoup plus que moi (je lis, malheureusement, lentement)), Et pourtant. Tout littéraire qu’il se considère, il fait pas mal de fautes d’orthographe, ne distinguant pas, par exemple, le conditionnel du futur. Je suis rigoureuse sur ces questions. Et il ne supporte pas que le lui fasse remarquer ses fautes. Je crois que k’on doit savoir accepter et reconnaître les erreurs qu’autour vous fasse remarquer sans se vexer, mais comme volonté de faire progresser. Désolée, je suis peut être hors sujet, mais il existe des caractères qui ne supportent pas qu’on les prennent en faute, et nous traite d’ « emmerdeur ».

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