[Une prof en France] Mauvais Genre

La semaine avait été calme. Nous avions juste traité les dossiers ordinaires : un chalumeau et un couteau amenés dans la cour de récréation, une bagarre, quelques insultes...
genre

Virginie F. est professeur agrégée de lettres dans un collège du sud de la France. Toutes les semaines, elle livre aux lecteurs de BV son quotidien édifiant, tragique, inimaginable pour ceux qui n'y sont pas plongés.

La semaine avait été calme. Nous avions juste traité les dossiers ordinaires : un chalumeau et un couteau amenés dans la cour de récréation, une bagarre, quelques insultes, une multitude d'entretiens avec la CPE (conseiller principal d'éducation), l'alarme incendie déclenchée par un élève, ce qui a permis à tout le monde de s'aérer un peu… La routine.

Je vois arriver en classe de 5e la jeune Z., une grande fille aux cheveux bicolores, comme Cruella, mais en blond et brun. C'est une jeune fille charmante, polie, à la voix flûtée, haut perchée. Mais ce jour-là, elle arrive déguisée en affiche de Kiss, avec un maquillage noir outrancier qui a coulé pendant la journée et a fait de son visage une toile de Pollock qu'on aurait oubliée sous la pluie. Je me dis dans mon for intérieur - le for intérieur des professeurs étant à peu près le seul espace de liberté d'expression subsistant à l'école - qu'elle s'engage sur une pente savonneuse et qu'il faudra que je prenne du temps pour lui parler…

Je rends des copies.

La distribution terminée, il me reste une copie entre les mains. Seul un prénom, Arthur, est noté dans la case prévue pour l'identification de l'élève. Comme un quart de la classe a pour habitude de ne pas rendre les devoirs qui sont à faire à la maison (sans commentaire), je ne suis pas habituée à avoir une copie surnuméraire. En haut de celle-ci est noté « Arthur ». Or, je n'ai d'Arthur dans aucune de mes classes. Je m'enquiers donc auprès des élèves de l'identité de cet Arthur fantomatique que je n'ai pas encore eu l'honneur de rencontrer. Un vague malaise s'installe dans la classe, puis une élève dit d'une petite voix que Z. aimerait qu'on l'appelât Arthur. Elle se lance dans une justification alambiquée que sa maîtrise vague du français et de ses nuances ne lui permet pas de rendre claire, mais je comprends que notre grande Z. se pense en garçon et entend faire appliquer les directives du gouvernement qui intiment aux enseignants de se plier à tous les caprices des adolescents au psychisme fragile en leur donnant le prénom qu'ils choisissent. Au moment où je vais prononcer le « n'importe quoi… » qui mettrait un terme immédiat à ma brillante carrière, je me ravise et soupire simplement. Petite lâcheté ordinaire des professeurs broyés par une machine aux dents acérées, les classes étant composées de délateurs en puissance qui rapportent nos propos, en les déformant, plus vite que Lucky Luke ne dégaine son révolver. Je me replie donc prudemment derrière un bouclier minable en m'appuyant sur les listes de classes et en rappelant que les élèves doivent essentiellement s'identifier par leur nom de famille, ce qui clôt le débat.

Depuis, j'ai remarqué que Z. se scarifiait et se faisait volontairement saigner en classe, ce qui dégoûtait fortement ses camarades, qui la fuient comme la peste. Je l'ai signalé à la vie scolaire, mais son action reste l'un des nombreux mystères planant dans l'établissement…

J'ai été contactée hier par la maman d'une autre Z. (décidément, ce prénom prédestine…), qui m'annonçait qu'après deux ans de portes claquées, de cris et de larmes, son mari et elle acceptaient que la sœur aînée de Z., âgée de 16 ans, devienne un garçon. J'ai hésité. Et puis j'ai décidé de répondre à son message. Je lui ai dit que cette « dysphorie de genre » dont le diagnostic avait augmenté de près de 4.000 % au cours des années était une mode délétère dont les conséquences étaient bien plus lourdes pour les adolescents que d'écouter de la K-pop ou de manger des mochis. Je lui ai donné le lien de l'article d'Élisabeth Badinter, cosigné dans Le Point par 140 médecins, psychiatres, philosophes et autres psychologues, dans lequel la société est appelée à réagir face à cette dérive qui va compromettre l'avenir physique et psychologique d'innombrables enfants. Et j'ai souligné que les accompagnements à la transition faisaient rarement disparaître le malaise psychologique des adolescents et n'apaisaient que très temporairement les tensions familiales. Je pensais être convoquée par ma hiérarchie pour cette nouvelle sortie de route. Il n'en fut rien. La maman m'a même remerciée pour ma sincérité et mon implication. Les autres collègues n'ont sûrement pas même osé répondre et elle était heureuse de ne pas crier dans le désert. Le monde est étrange…

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Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

Vos commentaires

71 commentaires

  1. Un Professeur agrégé de français confond apporter avec amener , erreur qui l’aurait empêché d’être élève en classe de Sixième du temps où régnait l’Académie Française sur l’enseignement national. En sommes-nous là ?

    • C’est tout ce que vous avez à commenter sous ce sujet?
      C’est triste, autant qu’une « fôte de grandmère » écrite par une professeur désorientée par la bêtise humaine actuelle n’empêche pas que cet article décrivant le terrain, soit intéressant , car nous montrant ce que vivent nos enseignants dans la réalité de tous les jours!

  2. J’ai un collègue marié et père de deux enfants qui vient de nous annoncer qu’il voulait devenir une femme et pour cella désirait se faire opérer. Il a 45 ans. J’ai l’impression d’avoir été projeté dans une autre dimension…

    • Plus vrai que nature?
      Epouse d’un professeur, sœur d’une instit, cousine d’une autre instit (pardon professeur.es des écoles!) et donc ayant reçu des copains et collègues de ces enseignants, je puis vous dire que ce n’est pas plus vrai que nature, et ce depuis déjà bien longtemps!

  3. Madame, vous avez bien du courage pour continuer votre « sacerdoce » dans cette nef des fous qu’est devenu l’educnat .

  4. Un grand merci Madame pour ce témoignage tellement bien écrit ,tellement vivant qui témoigne de l’enfer que doit être votre quotidien .
    Je vous admire et loue votre courage . Bravo nous avons besoin de personnes comme vous .
    Je vais le transmettre à ma petite fille enseignante en collège privée (titulaire du capes ).

  5. Bon courage. Je suis content que mes enfants soient sorti de cette asile de fous national … Mais je fait une provision de mouchoirs à l’idée que leurs enfants passeront dans cette machine à détruire.

  6. Chère Madame, ce témoignage est poignant car il montre du courage face à la bien pensance, un esprit de responsabilité face aux parents, et du respect pour les élèves en particulier lorsqu’ils sortent des rails, comme « Z ».
    Samuel serait fier de vous…bien respectueusement pour vous qui savez enseigner et faire découvrir à des parents désœuvrés les méfaits des dangers externes qui infiltrent le sanctuaire scolaire, comme le wokisme et ses dérives sectaires…

  7. Chère Madame,
    ce témoignage poignant, car fait de courage à l’encontre de la bien pensance, d’esprit de responsabilité face aux parents, de respect des élèves en particulier de Z , montre la voie à suivre par l ‘ Éducation Nationale qui doit rester un rempart contre toutes les perversions de l’ extérieur dont le wokisme et ses dérives sectaires. Samuel serait fier de vous…bien respectueusement pour votre exemplarité à suivre sans modération.

  8. Respect pour ce récit sincère d’un professeur qui fait preuve de professionnalisme et de clarté de diagnostic dans un univers complexe, déroutant où elle doit se sentir bien isolée.

  9. LA question est : « Comment en est on arrivé « là » ? …
    Le « pas-de-vagues » en est l’une des causes évidentes mais « ça » faut plus le dire ! … Les évidences que refuse de voir toute la hiérarchie du système éducatif français en est la preuve ( pour l’Education Nationale ) …
    Perso, j’étais « ado » quand il y a eu l’affaire du sang contaminé … J’ai compris à cette époque que les politicards n’avaient NI « humanisme » NI volonté d’assumer quoi que ce soit de leurs « décisions » …
    nous sommes au firmament de ce qui ce fait avec la macronie … et donc macron … en termes d’hypocrisie et de soumission au mondialisme qui détruit tout espoir de respecter LA TERRE et tout ce qui se balade dessus ! …

    • « Le « pas-de-vagues » »
      C’est ce qui a perturbé longtemps mon conjoint, qui avait dans sa classe une petite fille qui, vraisemblablement , vivait un inceste.
      Je ne vous dis pas les démarches qu’il a pu faire (ses collègues, qui eux aussi pensaient la même chose) pour aboutir à rien du tout. ( « pas-de-vagues »!)
      Il est ensuite parti en retraite et n’a donc pas su ce qui s’était passé ensuite.

  10. Ayant travaillé près de quarante ans dans un collège , à une époque où la dérive actuelle n’était qu’entamée , je me dis parfois que les enseignants sont punis par où ils ont pêché
    J’ai pu constater que cette catégorie de personnes , chargée d’enseigner leur matière aux enfants et dont on pouvait attendre un peu d’ouverture d’esprit et de tolérance , était , pour une bonne part de ses membres , très intolérante, prompte au rejet , au point de refuser de dire « bonjour » à des collègues aux opinions différentes….
    J’ai souvent pensé à la célèbre phrase de Voltaire (?) « je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites , mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire  » il parait que c’était le siècle des Lumières , serons-nous celui de l’obscurité ?

    • « il parait que c’était le siècle des Lumières , serons-nous celui de l’obscurité ? »
      La lumière est toujours d’actualité mais elle ne jaillit plus que d’un seul point et ne tolère plus d’ombres.

  11. Bravo Madame! Il est désolant que beaucoup d’enseignants n’aient pas votre courage et votre sens du devoir!!!

  12. Cette maman mérite le titre de parents . En effet démunie face aux problèmes de son enfant elle n’hésite pas à demnder conseil et parions , fera le maximum pour son enfant . Bravo à l’enseignante qui n’a pas eu peur de donner les bonnes réponses , qui ne s’est pas défilée par lâcheté . Ce sont ces petits riens qui nous aident à garder espoir .

  13. Merci Virginie pour ce témoignage de votre quotidien en collège, qui malheureusement n’effrayera que ceux qui sont éloignés de la réalité actuelle de l’enseignement en France. J’ai quitté la grande maison de l’Education Nationale il y a trois ans, j’ai eu la chance de presque toujours travailler dans des établissements assez calmes et d’être parti avant les dernières réformes et l’irruption générale des questions de genre mais un certain nombre de problèmes étaient déjà criants depuis des années : formatage idéologique, baisse des exigences scolaires et disciplinaires, manque de soutien des hiérarchies … Bon courage à vous dans ce contexte, la ligne de crête étant bien étroite entre essayer de rester fidèle à ses convictions et être assez habile pour ne pas aller au conflit avec élèves, parents, collègues ou hiérarchie !

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