[TÉMOIGNAGE] Anniversaire de l’attentat du Drakkar : un témoin raconte

En ce 23 octobre, jour anniversaire de l'attentat du Drakkar au Liban où 58 soldats français ont perdu la vie, BV a interrogé M.P*, engagé sur place, qui témoigne de ce qu'il a vécu. À l'époque, le Liban était ravagé par la guerre civile et les soldats de l'armée française envoyés pour « ramener la paix ».
Sabine de Villeroché. Quelles circonstances vous ont amené à être présent au Liban, ce 23 octobre 1983, jour de l’attentat du Drakkar qui provoqua la mort de 58 soldats français ?
M. P. Avec ma compagnie, nous faisions partie de ce qui se nommait alors la FMSB (Force multinationale de sécurité à Beyrouth). À distinguer de l’ONU. C’était une particularité, car depuis 1978, la France servait au sein de la FINUL (dont on parle, aujourd’hui, à la frontière israélienne au Sud-Liban, les fameux Casques bleus). Nous étions sous béret rouge, nos bérets d’origine. Avec le 17e régiment du génie parachutiste (17e RGP), nous étions partis pour la mission appelée Diodon 4, comme d'autres régiments parachutistes ; positionnés sur la ligne verte transverse qui divisait Beyrouth en deux, en proie aux bombardements toutes les nuits. Les Américains, pour leur part, étaient à l’aéroport et les Italiens aux portes de la ville.
À l’époque, dans mon souvenir, nous n’entendions pas parler du Hezbollah mais plutôt des Amal, qui étaient face aux chrétiens. J’ai connu le nom du Hezbollah plus tard.
[Le Hezbollah (qui signifie « Parti de Dieu » ) a été créé, en réalité, en 1982 au Liban à l’initiative de l’Iran, soit un an avant l’attentat du Drakkar, NDLR]
Nous étions là pour faire notre « mission génie » de dépollution (déminage) et de merlonage, c’est-à-dire de fabrication de buttes de terre positionnées en travers des rues pour empêcher les trajectoires de voitures piégées. Nous devions essayer de maintenir la paix.
Le dimanche 23 octobre (c'était un dimanche matin), je me trouvais sur la terrasse de notre position avec le transmetteur. Tous les jours, un ou deux obus étaient envoyés sur une de nos positions, ces obus venaient de Syrie. Nous étions habitués au bruit et à la fumée qu’ils produisaient. Mais à 6 heures du matin ce jour-là, nous avons entendu un énorme bruit qui nous paraissait particulièrement plus important que d’habitude. Nous nous sommes rendu compte que ça venait de l’aéroport.
[Quelques minutes avant l’attaque du Drakkar, un attentat suicide frappait le quartier général des Marines américains, faisant 241 morts, NDLR].
Puis, à 6h20, nous avons entendu une deuxième explosion, cette fois à un kilomètre de chez nous et, par la radio, nous avons appris qu’il s’agissait du Drakkar. À partir de là, le capitaine qui commandait la compagnie nous a demandé de rassembler les hommes, préparer les engins, les chaînes, les câbles, tout le matériel, et de nous porter sur les lieux au plus vite. Un gros quart d'heure après, nous étions sur les lieux, prêts à intervenir. On était en état de guerre permanent, c’était un séjour difficile ; depuis le début, nous avions pas mal de blessés au niveau du contingent français.
Arrivés sur place, le Croissant libanais, qui est l'équivalent de la Croix-Rouge française, avait déjà sorti un ou deux survivants ; ils avaient du métier face à ce genre de sinistre. Le bâtiment est tombé en tournant sur lui-même, comme une sorte de mille-feuille. Le Croissant libanais ayant plus l'intelligence de ces pratiques (nous n’étions pas formés au sauvetage-déblaiement), ils ont attaqué par l’arrière et le dessous du bâtiment et par les endroits où il fallait. Ils ont donc sorti les premières victimes. Nous avons ensuite commencé à fouiller avec nos mains, avec nos pelles, avec nos pioches, marteaux piqueurs, avec ce que l’on avait, mais nous n’étions pas outillés pour soulever des dalles de béton de 30 tonnes. Nous avons fait ce que nous pouvions, sauvant les premiers survivants - quatre ou cinq, de mémoire. Ma section a sorti l'une des victimes qui était bloquée sous les décombres par un fer en béton planté dans sa cuisse. Il a fallu couper ce fer à béton à l’aide d’une scie à métaux pour le sortir de là.
Le lendemain ou le surlendemain, les maîtres-chiens de la Sécurité civile venus de France en renfort ont fouillé à leur tour les décombres. Nous faisions silence pour repérer les blessés dans le bâtiment. Pendant deux jours, nous avons entendu crier les survivants… J’en ai encore des frissons. Le dernier a été sorti le mercredi.
Avec les grues qui sont arrivées plus tard, nous pouvions passer des chaînes pour soulever les dalles de béton et sortir les corps de nos camarades. Nous avons terminé d’évacuer les corps de nos frères d’armes le jeudi midi. Entre-temps, Mitterrand est venu sur place avec le ministre de la Défense. Les victimes étaient dans leur grande majorité des appelés, mis à part les officiers et sous-officiers.
S. d. V. Quels sont les souvenirs qui vous ont le plus marqué ?
M. P. Lorsque le bâtiment a été entièrement évacué, il restait un cône d'environ 7 à 9 mètres de profondeur. Dans mon souvenir, la dernière personne que nous en avons sortie était la femme du concierge du bâtiment, son mari était parti faire des courses, elle tenait encore son bébé dans les bras. Nous avions déjà évacué les 58 corps de nos camarades à la Résidence des Pins, à l’état-major de la force française.
S. d. V. Quel peut être l’état psychologique de ceux qui ont assisté à un tel drame ?
M. P. Nous sommes tous rentrés très fatigués et atteints moralement. Mais pas seulement à cause de nos 58 morts : au mois de décembre, nous avons subi un second attentat causé par un camion piégé qui a explosé à quelques centaines de mètres de notre position. C’était le 3e RPIMa qui était visé. L’onde de choc est arrivée chez nous au point que les fenêtres de notre bâtiment ont alors volé en éclats. Il y a eu beaucoup de morts individuels, pendant ce séjour. C’était vraiment dur. Et puis ces cris des gars restés sous les décombres du Drakkar restent gravés dans ma mémoire.
S. d. V. Avez-vous gardé des contacts avec les survivants ?
M. P. J’ai encore des contacts avec eux. Certains d’entre eux vont bien. Mais d’autres ne s’en sont jamais remis. À l’époque, l’armée ne reconnaissait pas le stress post-traumatique. Le militaire touché par ce syndrome devait, à l’époque, le gérer seul, ce qui pouvait entraîner de vrais problèmes dans sa vie privée ou familiale.
[Le stress post-traumatique n’a réellement été pris en compte, officiellement, par l’armée qu’en 2013, NDLR.]
S. d. V. Qu’ont signifié, pour vous, les récentes éliminations des chefs du Hezbollah, Hassan Nasrallah et Fouad Chokr, considérés comme commanditaires de l’attentat du Drakkar ?
M. P. Juste une remarque concernant les chefs du Hezbollah : quel âge avaient ces deux hommes lors de l’attentat du Drakkar ? Maintenant, si ces deux hommes sont les commanditaires de cet attentat, merci à Tsahal.
[Hassan Nasrallah est né le 31 août 1960, il avait donc 23 ans en 1983. Si on en croit sa notice Wikipédia, il a accédé au commandement du Hezbollah en 1992. Fouad Chokr, né le 15 avril 1961, était âgé de 22 ans lors de l’attentat du Drakkar. Il aurait été une des principales figures du Hezbollah dès sa création dans les années 80 (notice Wikipédia), NDLR.]
Le Drakkar devait être vengé, donc, plus tard, lorsque des Étendard ont décollé d’un porte-avions pour bombarder un camp terroriste, camp en réalité évacué avant l’attaque. Au bilan, ils ont tué trois chèvres et leur gardien. Tout le monde était parti, car prévenu à l’avance.
[La riposte officielle de la France se limitera au bombardement aérien, le 17 novembre 1983, d'une caserne occupée à Baalbek, dans la plaine de la Bekaa, par les gardiens de la révolution islamique et le Hezbollah, NDLR.]
Le Liban, ça a toujours été compliqué. C’est un pays qui est en grand danger, pris en étau entre la Syrie, qui veut l’annexer pour avoir un accès à la mer, et Israël. Plus tard, en 1986, lors d’un autre de mes séjours au sein de la FINUL, un soldat de ma compagnie a été victime d’une roadside bomb alors que nous faisions un footing autour de notre position. Un attentat qui aurait pu être évité, car certains Libanais étaient informés de ce qui nous attendait.
En principe, les Casques bleus sont là pour ramener la paix. La mission est particulièrement difficile à réaliser, on le voit encore aujourd’hui. On n’a jamais eu le droit de tirer pour se défendre, nous descendions dans les abris lorsque les tirs étaient trop proches. Il est vrai que la mission de l’ONU est de maintenir la paix…..
En cette veille de commémoration de l’attentat du Drakkar, une pensée pour nos frères d’armes. Que saint Michel veille sur eux !
*M. P est un pseudonyme
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24 commentaires
C’est lui le chef…pourtant Emmanuel Macron n’a pas eu un mot pour leur mémoire ?
Sauf erreur de ma part, la FINUL est censée ‘résolution 1701) « Aider l’armée libanaise à prendre des mesures en vue de l’établissement entre la Ligne bleue et le Litani d’une zone exempte de personnel armé, de biens et d’armes autres que ceux du Gouvernement libanais et de la FINUL déployés dans cette zone ».
Il faudra qu’on m’explique d’où le Hezbollah envoie ses drones et ses roquettes contre Israël.
Je me souviens qu’à l’époque Américains et Français se moquaient (gentiment) des Italiens qui, ayant refusé de s’installer dans du dur, avaient établi un camp à la romaine dans lequel officiers et soldats dormaient sous des tentes. Le périmètre était sécurisé dans un quadrilatère de 500m de côté. Il était alors impossible pour les massacreurs des Américains et des Français de faire avec les Italiens ce qu’ils firent aux malheureux militaires français et américains.
Please, arrêtons de parler de vengeance et cherchons les vrais coupables, ceux qui avaient intérêt à nous faire lever le camp pour avoir le champ libre … !
Il y aurait eu aussi une grave faute de commandement au regard de la sécurité…
Je crois constatée par le Général Bigeard qui s’était rendu sur place.
« M. P. Juste une remarque concernant les chefs du Hezbollah : quel âge avaient ces deux hommes lors de l’attentat du Drakkar ? Maintenant, si ces deux hommes sont les commanditaires de cet attentat, merci à Tsahal ».
et l’on parle récupération ! en quoi cette double tragédie aurait-elle servi les intérêts d’une organisation encore balbutiante ?
Merci à Benyamin Netanyahou d’avoir vengé nos soldats !!!! Nos élites sont trop lâches….
Merci pour ce témoignage digne et sobre. J’étais chirurgien militaire de l’antenne chirurgicale dans la cave de la Résidence des Pins près de l’hippodrome , J’ai bien connu cette situation de harcèlement permanent des milices , alors qu’il n’y avait aucune mission claire donnée . Cela se résumait à « faite avec » . « Vous êtes la présence de la France ».’ Tir de grenade à fusils quotidienne, sniper..Etc.
Je voulais dire que la plupart de ces jeunes 58 parachutistes étaient des » volontaires service long », parce qu’il n.y avait pas de travail et ils préféraient prolonger leur service national ..’je les écoutais parler de la médaille promise « des opérations outre-mer « agrafe Liban » et surtout de la solde qui passait à environ 6000F , A l’époque ce service VSL passait à 18 mois et il avait beaucoup de chômage en France , c’était quasiment le SMIC. J’avais beaucoup d’admiration pour ces braves, et j’ai toujours été choqué que pendant 40 ans la France ignore totalement ce massacre ostentatoire. Plus tard le même Mitterrand et le même Kouchner sont allé à Sarajevo en juin 1992, et chirurgien de la FORPRONU dans la cave du PTT building en juillet , pendant 4 mois, la mission au RICM et au contingent était la même , »faites au mieux « , Un peu plus de 70 soldats français sont morts aussi pour rien sur 5 ans et 4 fois plus de blessés. Beaucoup de soldats Ukrainiens sont passés dans l’antenne aussi, qui a été relevée plusieurs fois . Rapidement j’ai du commander un container de 50 cercueils militaire étanches, car nous n’avions rien pour conserver les victimes ..Nos pires adversaires n’étaient pas les Serbes mais les Bosniaques et leurs factions, alors que stupidement l’ONU avait choisi de s’implanter au milieu de leur capitale. Le RICM à l’aéroport ne pouvait pas protéger cet immeuble. Naturellement la France socialiste était diplomatiquement , du côté des Bosniaques …. En tous cas les américains sont sans doute très favorables aux Israéliens à Beyrouth, et on comprend pourquoi , la vengeance fait partie de la guerre .
Où est Macron pour ce funeste anniversaire, hommage serait plus approprié, qui a vu la mort de 43 parachutistes Français ? Où était Macron, le jour où l’assassin sanguinaire de ces soldats a été « éliminé par Israël ? Pas un mot de reconnaissance. Pas un mot de compassion ! Rien, nada. Bien au contraire, il n’a de cesse de fustiger un pays et un peuple menacés par des terroristes qu’il n’ose même pas désigner. C’est un président indigne qui dirige la France depuis 7 longues, longues années et qui, hélas est là pour encore 2 longues années, pour parfaire le désastre du pays ; un pays qu’il va laisser en état de ruines.
Merci à Tsahal, l’armée israélienne, de nous avoir débarassé définitivement du responsable de ce massacre ! Mais il aura fallu attendre! 40 ans pour que nos « Ptits gars », comme disait Bruno, soit vengés ! La France elle, n’a rien fait pour cela, ainsi va la France elle a les politicards …..qu’elle élit !
Et oui il faut le savoir, nos casques bleus sont les épouvantails de l’ONU chargés d’effrayer les belligérants sans utilisation des armes. Autant dire des sacrifiés sur l’hôtel de la paix.
Quand on est face à un ennemi potentiel , on dort dans des trous , pas dans un immeuble !!
Il semble que vous avez « du chemin à faire ! …
QUAND un peuple se fait « sécurisé » chez lui et doit « s’auto-autoriser » à ne sortir qu’une heure hors de chez lui, il ne doit pas revoter pour le même dictateur …
QUAND un « Etat de droit » protège plus les coupables que son propre peuple, ce peuple doit réagir pour « protéger ses propres enfants » …
« Du pain et des Jeux » ? … Alors dansez maintenant ! …
Enfin un commentaire intelligent. Uen compagnie de paras et une compagnie de légionnaires avaient refusé de loge dans l’immeuble qu’ils jugeaient trop dangereux, malheureusement ils ont eu raison. N’y aurait t il pas une question de compétences des chefs militaires?
Une insulte islamiste à la France qui est restée couchée.
Les politiques français ont toujours fait appel à l’armée, mais au premier problème, ils ne l’ont jamais défendue. Ils l’ont parfois martyrisée.
Je me rappelle très bien de cet attentat contre les militaires français ! …
Peu de temps après j’ai été incorporé chez « les Paras » à l’Île de la Réunion … Quelques « rescapés » de cet attentat sont venus faire un séjour de « mise au vert » pour essayer de « reprendre une vie normale » … Ce ne fut pas le cas pour un grand nombre d’entre eux ! …
J’ai vu un reportage à cette époque où l’on voyait un djihadiste soulever un fémur humain trouvé dans des décombres et dire : « Pour venger mon « frère d’arme, je vais aller tuer 100 mécréants en utilisant tous les moyens et plus encore … Dès cet instant, j’ai su que ces tarés ne s’arrêteraient jamais plus ! …
Beaucoup n’ont pas connu ce drame. Les médias n’en parlaient plus.
Il était temps qu’on parle d’eux, ils ont été vengés grâce à Israël et non par la France
En effet…