Sex Pistols, le No Future a la vie longue…

Déjouant leurs propres pronostics, ils sont toujours là, près d’un demi-siècle plus tard.
Capture d'écran
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« Dur, dur, d’être un bébé », chantait Jordy, en 1992, à seulement quatre ans et demi. Le « bébé » a, depuis, quasiment disparu des radars médiatiques, hormis quelques rares apparitions dans des émissions de télé-réalité. En 1977, les Sex Pistols assuraient, quant à eux, que l’avenir se résumait en ces deux seuls mots : « No Future ». Déjouant leurs propres pronostics, ils sont toujours là, près d’un demi-siècle plus tard. Mieux : ils viennent même de se produire dans la salle londonienne ultime, le Royal Albert Hall, ce 24 mars. « Un concert historique », affirme notre confrère Rock & Folk de ce mois d’avril.

Une reformation qui tient de la nécromancie…

Le mot « historique » n’est pas de trop, pour un groupe ayant défrayé la chronique en raillant la couronne britannique, toujours en 1977, en plein jubilé royal, avec son hymne God Save the Queen, qui assurait qu’Élisabeth II, à la tête d’un « régime fasciste », ne pouvait pas se prévaloir du statut d'« être humain ». Beaucoup d’eau a, depuis, coulé sous les ponts londoniens. Au fait, quid de la formation d’origine ? Sid Vicious, le bassiste, est mort d’une overdose le 2 février 1979, tandis que John Lydon – le chanteur, alors plus connu sous le pseudonyme de Johnny Rotten (Johnny le pourri) - a tôt quitté ce boutre en perdition. Ne demeurent donc plus que Glen Matlock, le bassiste des débuts, et le duo d’origine, guitare/batterie, formé par Steve Jones et Paul Cook.

Par nos soins interrogés, l'écrivain Patrick Eudeline, acteur de l’époque, – il était le chanteur d’Asphalt Jungle, l’un des premiers groupes punks français –, nous confie : « Il faut bien que ces vieux groupes assurent leur retraite. Seulement, il y a l’art et la manière. La boutique est aujourd’hui tenue par Cook et Jones, deux parfaits abrutis totalement incultes. Glen Matlock, quant à lui, est un homme d’une tout autre stature. Avec lui, on pouvait parler de situationnisme, car il avait beaucoup lu. » Et qui, pour remplacer le chanteur, ce Johnny Rotten plus haut évoqué ? Les rentiers du punk ont jeté leur dévolu sur un certain Frank Carter, un obscur tâcheron issu du revival punk sévissant depuis quelques années dans la perfide Albion.

Les Sex Pistols, un nouveau karaoké ?

Une « parfaite erreur de casting », à en croire Patrick Eudeline : « Quitte à remplacer Johnny Rotten, ils auraient au moins pu embaucher Billy Idol. Il est de la même génération, ce n’est pas un mauvais chanteur et sa légitimité n’est plus à prouver. » Au fait, que nous dit le sieur Rotten, désormais fort de ses 69 printemps, de ces retrouvailles ? « Frank Carter ? La pauvre saucisse ! Sait-il dans quoi il s’est embarqué ? C’est bien pour lui, c’est une énorme chance, mais il y a quelque chose de sombre, derrière ça. C’est presque quelque chose de diabolique. C’est du karaoké, c’est tout ! »

Et le même de conclure : « C’est moi qui ai écrit ces putains de chansons, pas vrai ? Je leur ai donné une image, j’étais le leader. J’étais la voix qui a fait chanter le monde entier. » Voilà qui, d’un strict point de vue factuel, n’est pas faux, même si notre homme ne semble pas être né le jour de la Saint-Modeste, sachant qu’entre sa voix et celle, au hasard, d’un Frank Sinatra, il y a plus que la largeur de la Tamise. Passons.

Johnny Rotten, le punk ultime ?

Ensuite, il n’est pas forcément nécessaire de prendre tout cela au sérieux, le rock prenant de plus en plus des allures de garderie pour grabataires, des vieux de plus en plus vieux chantant pour un public de moins en moins jeune. Le rock ? Entre Fort Chabrol et Fort Alamo. Des irréductibles face à la déferlante du rap, du R&B et de l’IA. Les derniers rockeurs savent que leur musique est morte, même si elle résiste encore. D’ailleurs, le Johnny Rotten en question l’a bien compris. Pour s’en convaincre, il suffit de se pencher sur ses Mémoires, La rage est mon énergie.

Fils d’une famille de catholiques irlandais, il est peut-être le dernier punk, voir le punk ultime : pour le Brexit et Donald Trump ; contre l’immigration de masse et le délitement de la société anglaise. À croire que sa crainte du futur puisse dissimuler une certaine nostalgie du passé. Que les rebelles d’hier puissent finir en thuriféraires de l’ordre de jadis, fiers de leurs origines ouvrières, n’a finalement rien de très nouveau. Le très prolétaire Eric Clapton en demeure l’exemple emblématique, ayant tôt apporté son soutien à Enoch Powell, le Jean-Marie Le Pen local, avant de partir en guerre contre la dictature sanitaire du Covid-19 et l’alignement systématique des puissances occidentales sur les positions israéliennes, depuis la tragédie du 7 octobre 2023. No Future, affirmaient les Sex Pistols ? À son corps probablement défendant, un Johnny Rotten semble estimer que le passé a encore de l’avenir. Puisse-t-il être entendu.

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Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

7 commentaires

  1. La vache, on prend tous un sacré coup de vieux! Je me souviens de Londres en 1979 l’ East End prolo n’ était pas encore gentrifié et ça castagnait dur avec les skins, les teddies et les bikers hardeux! Les mods et les rastas étaient plus cools! Toute une époque, vivement hier!

  2. Ces « mauvais garçons » de l’époque paraissent maintenant bien propres sur eux, comparés à ce qui nous entoure maintenant

  3. Merci monsieur Gauthier,
    Avec vous les pires musiciens trouvent toujours un peu de grâce et on regrette parfois de ne pas les avoir suivis.
    Continuez comme ça à nous faire encore un peu rêver

  4. Faisant fi de l’habileté instrumentale, de la qualité des thèmes, textes ou « mélodies », les SP véhiculaient une énergie jubilatoire que même les Stones (du moins Jagger) appréciaient, et l’empreinte laissée par leur unique album est bien plus profonde que toute la discographie des Ramones ou des Clash, « vrais » groupes avec des « vrais » musiciens. Par contre, aucun héritier revendiqué, même si Nirvana s’en est plusieurs fois inspiré à la limite du plagiat.
    Et s’il n’y a plus grand monde du groupe original, bof…d’AC/DC ne reste que le plus petit.

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