Russophobie, avatar de la cancel culture ? Aujourd’hui, Soljenitsyne

L'époque est propice à ce genre d'initiative. Il y aura du monde pour saluer ces courageux professeurs.
SOLJENITSYNE

Depuis que la guerre fait rage, l'Occident n'a pas de mots assez durs, de gestes assez courageux, de décisions assez radicales pour fustiger l'invasion de l'Ukraine par les Russes. On n'avait pas vu cette débauche d'héroïsme depuis fort longtemps, puisque les derniers actes de guerre commis contre un État européen souverain l'ont été par les États-Unis contre la Serbie, et qu'on n'a rien entendu à Paris… et que la dernière « guerre préventive » contre un État souverain date de l'invasion de l'Irak par les États-Unis en 2003. La géométrie des indignations est décidément bien variable.

Ca y est, le Russe est redevenu l'ennemi qu'il n'avait que brièvement cessé d'être. Le seul à avoir compris que le fait russe primait le fait soviétique, c'était le général de Gaulle. Pas la meilleure des références alors que l'on commémore le soixantième anniversaire des tristes accords d'Évian, mais enfin, c'était tout de même le seul chef d'État qui avait reconnu la singularité du destin russe et sa permanence sous l'horrible joug communiste. Il disait toujours « la Russie », d'ailleurs, et pas « l'U.R.S.S. » ou « l'URRSSE ».

Parmi les plus farouches opposants au système soviétique, il y avait par ailleurs des militants indécrottablement patriotes. Tenez, Alexandre Soljenitsyne, par exemple. Ancien officier d'artillerie, écrivain brillant, arrêté et envoyé dans les camps du goulag, il fera connaître au monde la vérité du régime soviétique que l'Occident, trop occupé (comme Éluard puis Sartre) à chanter les louanges du bloc communiste, n'aura pas le courage de regarder en face. Il ne se départira cependant jamais de son admiration pour la Russie éternelle, là où tout contempteur public d'un régime politique se devrait, dans notre vieille Europe, de cracher au moins autant sur sa patrie.

Soljenitsyne, expulsé par la Russie soviétique, a prononcé un discours magnifique à l'université de Harvard, en 1978, dans lequel il s'en prenait à ce qu'il appelait « le déclin du courage » en Occident. Cela vaut la peine de s'y intéresser - de le relire, même, alors que la lâcheté prend, avec le conflit ukrainien, des oripeaux jaunes et bleus. On se croit malin de geler les avoirs « à consonance slave » en France (que n'aurait-on pas dit pour les noms à consonance arabe pendant la lutte contre Daech…) ; on se croit lucide de prendre au premier degré les communiqués ukrainiens, vingt ans après s'être fait balader par les Kosovars ; on se trouve héroïque d'interdire ou de brimer tout ce qui ressemble à la Russie… jusqu'à Dostoïevski, paraît-il. Consternant.

Or, voilà que la lâcheté se marie harmonieusement, une fois de plus, avec la bêtise, qui elle-même fait les yeux doux au militantisme. Des enseignants vendéens souhaitent débaptiser le lycée Soljenitsyne d'Aizenay, près de La Roche-sur-Yon, pour lui donner le nom d'un poète ukrainien. C'est brillant. On ne met pas un centimètre carré de sa propre peau en jeu, on instrumentalise Soljenitsyne parce qu'il est russe et ça permet, par rebond, de faire disparaître le nom d'un penseur réactionnaire, qui, comme souvent les fachos, est le défenseur le plus efficace de la véritable liberté. Les syndicats, en salle des profs, doivent se congratuler mutuellement pour l'habileté diabolique de ce coup de billard à trois bandes.

L'époque est propice à ce genre d'initiative. Il y aura du monde pour saluer ces courageux professeurs - dont je rappelle que, par construction, ils doivent, en théorie, transmettre aux enfants qui leur sont confiés des outils de compréhension du monde. Ne faisons pas partie de la meute. Dans cette guerre qui ne propose ni méchants ni gentils (ce qui est souvent le cas des guerres), ne tombons pas dans le panneau de la communication américaine, ni dans cet énième avatar de la cancel culture. Jünger observait que la différence principale entre un anarchiste et un nihiliste était que le nihiliste voulait faire de l'humanité un désert, tandis que l'anarchiste voulait en faire une jungle. Nos progressistes n'ont pas l'air de considérer que ces paysages soient exclusifs l'un de l'autre.

Où s'arrêtera la haine antirusse la plus primaire et la plus stupide ? Va-t-on interdire Tchaïkovski ? Faire passer une loi mémorielle (très français, cela) qui ferait de la Russie l'auteur des plus grands génocides du monde - de la Russie, mais surtout pas du communisme ? Bannir le thé noir sur les cartes des cafés parisiens ? Renommer les auteurs dont les noms sonnent un peu slave ? Cette vertigineuse soif de destruction, cette idiotie (pour rester poli) perçue comme le parangon de l'engagement personnel et de la hauteur de vue ne se sont, à ma connaissance, jamais rencontrées avec un pareil degré d'intensité et une si large diffusion dans notre pauvre société… sauf avant la chute de Rome, peut-être, mais cela ne plaide pas en notre faveur.

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Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

Vos commentaires

90 commentaires

  1. Cette anathème contre tout ce qui vient de Russie témoigne de l’état de délabrement de notre pays. Va falloir donner aux enfants un esprit suffisamment critique pour lutter contre toutes les inepties véhiculées dans les médias ou les mouvements aberrants comme débaptiser des rues déboulonner des statues. Nous sommes dans une époque de mélange de concepts et aboutissons à un salmigondis des moins exaltants.

  2. A-t-on fait la chasse, en France, aux communistes porteur de valises du FLN avec du sang plein les mains des civils et soldats du contingent tués en Algérie par les terroristes du FLN ?

    • Bah non, il est même du côté d EELV des (au moins un) responsable dont la mère était une porteuse de valise du FLN et qui en est fier… Je vous laisse le découvrir qui tout seul….

  3. C’est le triomphe de la non pensée. une mentalité de supporters de club de foot appliqué à la complexité du monde.. . Surtout du jamais vu pour ceux qui doivent transmettre. . A-t-on interdit Beethoven ou Bach? Le slogan remplaçant la réflexion, la conscience éclairée par ceux qui nous précèdent. .

    • « A-t-on interdit Beethoven ou Bach? « …non mais Wagner a tout de même été classé par certains supporters de club de foot comme nazi (nonobstant le décalage temporel)….parce qu’Hitler appréciait ses œuvres. Idem pour les œuvres des compositeurs russes de l’ère soviétique comme Dmitri Chostakovitch que nos profs de musique au lycée s’interdisaient de nous faire écouter parce que considérés comme soviétiques donc à bannir. Et dire que la musique est censée adoucir les mœurs…

  4. « la tolérance atteindra un tel niveau que les personnes intelligentes seront interdites de toute réflexion afin de ne pas offenser les imbéciles… » Dostoievski

  5. Excellent ! : »on se croit lucide de prendre au premier degré les communiqués ukrainiens, vingt ans après s’être fait balader par les Kosovars « ….Et la « jungle » , je crois qu’on y est , nonobstant la mini dictature débile de notre gouvernement , et la méga-dictature woke en marche insidieuse mais de plus en plus flagrante…
    Ben si , « On » nous a désigné le méchant .Vive l’âme russe ! Vive Tchaikovski, Rimski-K, etc…

    • L’âme Russe, l’amour de la patrie, tout ce qui fait la force mais aussi la faiblesse d’une Nation à l’histoire tourmentée.

  6. On pourrait aussi interdire Casse-noisette et le Lac des cygnes, Dans les steppes de l’Asie centrale et La grande Pâque russe, Docteur Jivago et Guerre et paix. On pourrait saisir toutes les Lada en circulation et infliger une lourde amende à leurs propriétaires…

    • Et notre grand vin le Petrus comme disait un chansonnier .. «  on enlèverait la terminaison russe ce qui permettrait de garder le préfixe et faire enfin notre gaz nous même ». ( sic)
      Dans la bêtise malheureusement on n’enlève rien, elle s’epanouït au grand jour.

    • À quand interdire les poètes et compositeurs allemands. Nous avons pourtant été « En guerre » avec eux plus d’une fois.

    • Le plus grave, c’est que ces dénaturés sont parfaitement capables de mettre en œuvre ces interdictions, l’histoire récente nous en donne la certitude.

    • Et surtout interdire « Crimée châtiment » (titre dû à Pierre Dac et Francis Blanche) qui permet de faire d’une pierre deux coups.

  7. Magnifique article sur un des plus beaux personnages du vingtième siècle et une culture à qui l’Europe doit tant: un filtre pour isoler les crétins qui déferlent et une génération décérébrée par mai 68 et « du passé faisant table rase ».

    • Je fais partie de cette génération de mai 68, mais j’ai gardé mon cerveau intact…jusqu’à ce jour !
      C’est pourquoi je condamne fermement cette chasse aux sorcières minable mais typiquement franchouillarde.

  8. Les enseignants ne brillent pas forcément par leur intelligence et à force de ne voir en face d’eux que des élèves de plus en plus incultes ils deviennent comme eux tout en s’imaginant être d’une essence supérieure.

  9. Bel article, je voudrais rajouter une remarque en rappelant que cette bêtise me fait souvenir que le torchon récupérateur de djeunz, sous contrôle du censeur et amis intime d’un pédophile, avait mené une campagne tout aussi hystérique. Et si cette campagne du « je suis charlie » n’avait pas réussi à attaquer notre culture c’est juste parce qu’elle n’avait rien de culturel, mais servait uniquement à entrainer nos cerveaux aux 2 hystéries collectives actuelles: le covid et l’ukraine

  10. Dostoïevski Soljenitsyne, deux grands écrivains soviétiques effacés par des enseignants moralistes, remplis « d’indignitude », boursouflés de wokisme. Les ont-ils seulement lus ? Nous atteignons ici le degré zéro de l’imbécilité. L’enseignement français, dit-on, est en pleine dégringolade, rien d’étonnant.
    Une pensée de Dostoïevski à méditer par les censeurs : « là où l’amour n’existe pas, la raison, elle aussi, est absente ».
    Inutile d’envoyer les copies, risque d’y avoir des zéros.

    • l’univers des « enseignants » ou chaque composant est certain de détenir la véritable vérité, une jungle où il est dangereux d’afficher ses sentiments ; ma fratrie y a laissé son existence.

  11. L’acharnement contre la Russie relève soit de la méconnaissance de son histoire, de sa civilisation, de l’âme russe soit parce que celle-ci recèle précisément les valeurs que haïssent les progressistes, celles qui s’opposent au matérialisme et à la lâcheté de l’Occident et dont Soljenitsyne a été le héraut.

    • Comme toujours, pour approcher l’âme d’un peuple (pas celle des frontières) le contact humain avec l’habitant des campagnes est nécessaire voir indispensable. C’est là que se trouve la véritable sève, car non polluée d’utopies, qui irrigue un peuple.

    • Les américains ont besoin de cette guerre pour faire oublier leurs 30 billiards de dette…Pour faire oublier leur beresina intérieure, selon le vieux principe d’enterrer les problèmes intérieurs en déclenchant des conflits extérieurs !

  12. C’est aussi contre le nihilisme de l’occident que la Russie se bat. Et les autres derrière qui eux, ne veulent pas bâtir sur des ruines mais, chacun, sur ce que sa civilisation a de meilleur.

  13. Bravo Arnaud !
    Une chose semble certaine chez ces enseignants (qui ont la charge de nos enfants) : ils ont une méconnaissance totale de l’histoire et ne savent même pas lire les dates où ont vécus ces illustres écrivains, poètes, compositeurs et autres illustres personnages Russes…
    Il serait temps que nos « illustres » politicards de tous horizons sifflent la fin de la récré, y compris celui qui se croit « chef d’une guerre » qui prend une tournure sacrément russophobe donc racialiste…

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