Poutine exige que le gaz russe soit payé en roubles : mesure pragmatique ou diversion stratégique ?

Plutôt que d’attendre un embargo hypothétique sur les importations de gaz russe, Vladimir Poutine a pris les Européens de court en annonçant que les pays « inamicaux » devraient payer leur gaz en roubles sous peine d'être privés d'approvisionnement. Officiellement, cette mesure est censée soutenir la monnaie russe, dont le cours a baissé de plus de 40 % à la suite des sanctions imposées.
Et si les motivations du maître du Kremlin étaient ailleurs ? En inversant le sens de l’embargo, Poutine met l’Europe au pied du mur. En effet, compte tenu de leurs situations gazières très différentes, les pays européens pourront difficilement réagir de façon coordonnée.
Second producteur mondial après les États-Unis, la Russie exporte 40 % de son gaz. L’Europe est son principal client. Elle achète à la Russie 42 % de sa consommation gazière. Mais, au regard du gaz russe, tous les pays européens ne sont pas sur un pied d’égalité. Par rapport à la plupart de ses partenaires européens, la France a trois avantages décisifs. En premier lieu, le gaz naturel ne représente, dans l’Hexagone, que 16 % de la consommation d’énergie, contre 24 % en Allemagne, 38 % en Hollande et 40 % en Italie.
Deuxièmement, même si l’Hexagone importe la totalité de sa consommation, c’est la Norvège qui est son principal fournisseur, avec 46 % des importations, alors que le gaz russe ne compte que pour 19 %. Le reste des importations françaises vient d’Algérie, du Nigeria, du Qatar et des États-Unis, principalement sous forme de GNL. En d’autres termes, la dépendance du mix énergétique Français vis-à-vis du gaz russe n’est que de 3 %, contre près de 15 % pour l’Allemagne et 11 % pour l’Italie et la Hollande.
Enfin, la France possède quatre terminaux méthaniers d’une capacité totale de 37 milliards de m3 par an. En 2019, le gaz était pour moitié importé par gazoduc et moitié sous forme de GNL. L’Allemagne ne possède, à ce jour, aucun terminal de regazéification, les Verts s’y étant toujours opposés.
La moitié du gaz consommé en France est utilisée pour le chauffage, l’eau chaude sanitaire et la cuisson des aliments. Ainsi, plus de 10 millions de ménages français cuisinent toujours avec des plaques de cuisson au gaz. L’industrie consomme, quant à elle, 30 % du gaz alors que la génération électrique ne compte que pour 20 %.
Pour renoncer aux 95 TWh de gaz russe, la France doit se tourner vers d’autres fournisseurs de GNL, économiser sur certains usages ou encore remplacer dans la génération électrique le gaz par d’autres combustibles. Si l’on veut préserver notre outil industriel déjà très affecté par la pandémie, c’est surtout sur l’habitat et la génération électrique qu’il faut essentiellement agir.
L’accroissement des importations de GNL américain promis par Joe Biden à hauteur de 15 milliards de mètres cubes pour l’ensemble de l’Europe devrait soulager nos importations russes de 16 TWh. Dans l’habitat résidentiel, la baisse de 1° de la température des logements chauffés au gaz permettrait d’économiser une dizaine de TWh. C’est surtout dans le tertiaire que les réserves d’économie sont considérables. Alors qu’il est occupé physiquement à peine 30 % du temps, le tertiaire est pourtant énergétisé 80 % du temps. Immeubles ou enseignes restant allumés toute la nuit, voire le week-end, administrations ou universités chauffées de jour comme de nuit, réduire de 80 % à 50 % l’énergétisation du tertiaire permettrait aisément d’économiser 55 TWh. Les 16 TWh manquant pourraient être compensés en augmentant temporairement la production d’électricité issue des trois centrales à charbon encore en activité en France
Si la France peut, à court terme, se passer assez aisément des importations de gaz russe sans pénaliser ni le quotidien de ses citoyens ni son outil industriel, cette stratégie ne pourra en revanche s’appliquer à l’ensemble de l’Union européenne, dont nombre de membres sont dans des situations beaucoup plus précaires. En dehors de l’Allemagne, les Autrichiens, les Finlandais, les Tchèques, les Slovaques et les pays baltes sont pratiquement dépendants à 100 % du gaz russe et ne possèdent aucun terminal gazier.
Face à cette hétérogénéité de dépendances liée à l’Histoire, à la géographie mais aussi à des politiques énergétiques récentes fort peu pertinentes, il y a un risque certain de voir la solidarité européenne pourtant affirmée depuis le début du conflit russo-ukrainien voler en éclats.
Jusqu’où le citoyen français ou espagnol, peu dépendant du gaz russe, est-il prêt à aller pour aider son collègue allemand, tchèque ou finlandais à passer ce moment difficile ? La décision cynique de Poutine pourrait donc affaiblir un peu plus la position déjà chancelante de l’Europe à la grande satisfaction des Chinois mais aussi des Américains.
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115 commentaires
Excellent article qui mérite que Philippe Charlez en soit félicité . Je ne saurais dire si Poutine l’avait calculé ainsi mais il est un fait qu’il a désormais en mains les clés de la division .
Jadot, droit dans ses bottes est près à demander l’importation de gaz de schiste, preuve d’une remarquable constance politique…
Êtes vous sûrs que l’information suivant laquelle les Russes imposent le paiement du gaz à l’Europe en roubles ?
Ne serait ce pas plutôt l’obligation des Russes de paiement en dollars ou en Euros à une banque russe ?
Merci de vérifier.
Ca démontre surtout que c’est Poutine le maître du jeu, et que les pays européens inféodés aux USA ont perdu la partie ! Sortie de l’UE et de l’OTAN, seule solution pour s’en sortir
Nos dirigeants sont des prétentieux bouffis d’orgueil qui s’entretiennent mutuellement dans l’illusion d’une toute puissance européenne qui ruissellerait sur tous les petits marquis qu’ils sont en tant qu’adorateurs béats de leurs maîtres américains.
Quand leur seule capacité d’agir se résume à mettre leurs propres peuples en situation difficile, on a tout dit de ce que sont ces « eunuques » face à un chef d’état déterminé qui sait ce qu’il à craindre d’eux, c’est à dire pas grand chose.
Je pense que les USA n’ont pas évalué les conséquences de ce qu’ils ont provoqué. Ils n’auraient jamais du mettre le doigt dans cet engrenage maléfique sans se soucier de la Chine, de l’Inde mais aussi de l’Afrique et des pays du golfe. Le dieu Dollar a ses jours comptés. Sans pouvoir récupérer des roubles les occidentaux vont devoir payer en or , il n’y a pratiquement pas d’autres solutions si ils veulent continuer à profiter du gaz Russe. Les allemands peuvent remercier leurs pastèques.
Un succès apparent, le coup d’Etat de 2014 en Ukraine, peut se transformer en désavantage en raison d’une erreur stratégique. Personne ne peut prédire l’issue d’une guerre. Les perdants ne sont pas encore tous connus, sauf l’Europe.
Quel est le responsable politique qui, dernièrement, a décidé de fermer la centrale de Fessenheim ? Afin de diminuer notre parc nucléaire, et donc nos capacités de production électrique. Maintenant, on nous explique que nous allons devoir diminuer notre consommation ! Il prend des décisions ineptes et grotesques, et c’est à nous à en subir les conséquences. Mais cela n’empêche pas ce politicien de solliciter un second mandat ! Sans vergogne…
Une seule solution : imposer l’euro, mais il faudrait pour cela que l’Europe se désolidarise des Etats Unis au lieu d’appliquer les sanctions comme des moutons de Panurge. On n’en est pas là.
Je suis d’accord. Mais nous devrions alors craindre les pires attaques contre notre économie, jusqu’à la guerre. Les Saxons blancs protestants ne plaisantent pas avec ça.
L’auteur de cet article semble ignorer que, depuis juillet 2018, il est interdit d’allumer les enseignes commerciales entre 1h et 6h du matin et que l’éclairage intérieur des entreprises doit être éteint dans l’heure qui suit la fin d’activité.
On a beau se déclarer « expert », on ignore quand même des choses élémentaires qui peuvent semer le doute sur la pertinence globale de ce que l’on avance doctement.
Ces règlementations ne sont pas appliquées. Le Français est un indiscipliné notoire. C’est pareil pour toutes ces enseignes qui en plein hiver chauffent à fond, les portes grandes ouvertes. Il faut remettre de l’ordre dans la maison France.
Ce Monsieur oublie que le GNL américain Nous sera vendu à quel prix ! Bande d’idiots que nous sommes !
Question : Le gaz russe est payé en euros, et vu les sanctions, la Russie ne peut pas être payé , il me semble que la rupture de contrat est européenne , donc il est normal que les russes exigent la monnaie russe ?
Décidément on se tire une balle dans la tête comme dirait Charles Gave
Vous verrez que les allemands trouveront une solution pour ne pas perdre ses approvisionnement avec la Russie et devinez au détriment de qui? et bien des autres membres de l’union si toutefois on peut encore appeler cela une union.
En s’abstenant de commenter la légitimité des sanctions ou la pertinence de décréter des sanctions qui nuisent à l’économie française, le seul fait de décider de l’inconvertibilité de la monnaie prévue dans les contrats gaziers avec la Russie constitue à lui seul une modification unilatérale inacceptable de ces contrats. Ce sont donc les pays occidentaux, et non la Russie, qui ne respectent pas les contrats, en prétendant payer avec une monnaie inutilisable.
Puisqu’ils vous disent que les sanctions vont abattre la Russie, il faut les croire nos politiciens avides de rapports de cabinets de conseils.
Les cabinets de conseils sont dominés par intérêts américains. Trouve l’erreur
Comme dans tout , Mc Kinsey à la manoeuvre très certainement .
j aimerais surtout que l on m explique pourquoi nous sanctionnons la russie alors que celle ci ne nous a rien fait …..
Et dire que le français était la langue privilégiée de la cour de Russie, ainsi que les philosophes, précepteurs et enseignants dans la noblesse russe. Pauvre France! Qu’a t’on fait de toi?
« Décision cynique de Poutine » ! Vous êtes imprégné de la russophobie ambiante, M. Charlez ! Les pays « inamicaux » bloquent les réserves financières de la Russie, c’est-à-dire les sommes hébergés par les banques occidentales. Les payements traditionnels étaient faits en dollars, dans ces banques, et les futurs auraient été gelés comme le reste.
Poutine veut simplement être vraiment payé, et non volé ! Le mécanisme mis en place permet d’ailleurs de payer en dollars, mais à une banque RUSSE.
L’Autriche a accepté de payer son gaz en roubles.
Bravo!