Paul-François Paoli : « Les Corses ne veulent pas que leur avenir insulaire ressemble à celui de la France, pays submergé par l’immigration. »

Paul-François Paoli est chroniqueur littéraire au Figaro et écrivain. Il a publié en 2021 un essai intitulé France-Corse : je t'aime moi non plus (Éditions de l'Observatoire). Alors que viennent d'être célébrées les obsèques d'Yvan Colonna, il revient sur les récents événements en Corse. Pour lui, il est temps d'organiser un référendum sur l'avenir de la relation franco-corse.
Geoffroy Antoine : Paul-François Paoli, vous avez beaucoup écrit sur la Corse, vous êtes corse vous-même. Les événements qui se déroulent aujourd'hui étaient-ils, selon vous, d'une certaine façon prévisibles ?
Paul-François Paoli : Oui, ces événements étaient prévisibles. Il y a très longtemps que le torchon brûle entre la France et la Corse. Cette affaire Colonna va accroître le fossé entre la France et la Corse et elle risque de ruiner la tentative de Gilles Simeoni pour trouver des voies de compromis.
GA : Yvan Colonna, condamné pour l'assassinat du préfet Érignac, est pour ainsi dire aujourd'hui promu au rang de martyr. Les drapeaux de la Collectivité de Corse ont été mis en berne. Cela vous choque ou vous le comprenez ?
P-F P : Cette mise en berne est tout simplement honteuse. Cette solidarisation symbolique avec la mémoire de Colonna ne fait pas honneur à la Corse et les Corses qui vivent sur le continent - ils constituent la majorité des Corses - risquent d'en pâtir. Même si l'affaire Colonna est complexe, un doute continue de planer sur son implication dans le meurtre d'Érignac et même s'il a été victime d'une agression ignoble, il n'est pas pour autant un héros de la Corse, lui qui d'ailleurs n'était pas corse par sa mère mais breton. Un héros, c'est quelqu'un qui combat. Les Ukrainiens anonymes qui luttent, armes à la main, sont des héros. La Corse a donné au monde suffisamment de héros pour connaître le sens de ce mot aujourd'hui galvaudé par des gens qui considèrent que tout ce que fait un Corse est justifiable sous prétexte que c'est un Corse qui le fait. Mon grand-père, qui a perdu un bras à Verdun, était un héros. Mon oncle maternel, qui a combattu les nazis en 1940 en allant bombarder l'Allemagne avec la Royal Air Force, était un héros. Nous savons, nous, en Corse, ce qu'est un héros. Cette affaire est symboliquement désastreuse et il est temps, à mon sens, d'organiser un référendum sur l'avenir de la relation franco-corse en allant au fond des choses.
GA : Expliquez-nous quelle est la teneur du nationalisme corse, quelles sont ses spécificités et en quoi peut-il être, ou non, une source d’inspiration pour les Français ?
P-F P : Le nationalisme corse est un alliage entre deux principes incompatibles. D'un côté, il procède d'une aspiration identitaire légitime qui s'apparente à une pulsion de survie. Les Corses ne veulent pas que leur avenir insulaire ressemble à celui de la France, pays submergé par l'immigration. Ils veulent que leur région continue à se ressembler. Ils sont identitaires avant tout et Marine Le Pen a fait en Corse des scores record. La Corse assimile fort peu les gens venus du Maghreb et il y a peu de mariages mixtes. Mais elle a sa manière à elle d'intégrer l'autre et qui passe par les femmes. Un non-Corse qui se marie avec une femme corse se sentira corse s'il vit dans l'île et ses enfants le deviendront. Les Corses sont jaloux de leur identité, mais les nationalistes ont greffé sur cette aspiration une rhétorique anticolonialiste copiée sur les mouvements de libération nationale. Rhétorique qui n'a rien à voir avec le problème corse tout simplement parce que la Corse n'a jamais été, à proprement parler, colonisée. Elle n'a jamais subi le sort de l'Algérie et sa situation n'est pas comparable à celle de la Nouvelle-Calédonie. Nous ne sommes ni des Kanaks ni des Antillais ni des Berbères mais un petit peuple marqué par l'italianité et devenu français par l'Histoire. Cet anticolonialisme donne un vernis gauchiste aux nationalistes corses alors que, sur un plan anthropologique, tout nationalisme ne peut qu'être conservateur. Qu'un Poutou ou un Besancenot viennent à la rescousse des nationalistes corses - eux qui sont immigrationnistes à tout crin - en dit long sur les ambiguïtés de ce mouvement dont les militants peuvent voter très à droite aux élections nationales tout en tenant des discours à la Jadot.
GA : Les jeunes Corses qui remuent l’île depuis dix jours se disent identitaires. Quelle est l’identité corse ? Cette identité est-elle compatible avec l’identité française ?
P-F P : L'identité corse est évidemment compatible avec l'identité française sur le plan de la langue. Les Corses sont français par la langue et ils le resteront, même si, demain, la Corse devenait indépendante. La culture française est partie prenante de l'identité corse et la Corse est inintelligible sans l'italianité. Les écrivains corses actuels les plus en vue - Jérôme Ferrari ou Marcu Biancarelli, notamment - sont des écrivains de langue française et cela ne les empêche pas d'être corses. Car être corse, comme tous les Corses le savent, est d'abord une affaire de caractère, c'est une affaire de sang. On est corse avant tout parce que vos parents le sont. J'ai souri quand j'ai vu récemment le témoignage d'un Corse qui a caché Colonna pendant sa cavale et qui disait : « Cacher quelqu'un qui fuit, c'est dans nos gènes. » Gènes : cette idée n'est pas particulièrement républicaine, c'est même une idée de droite. Pascal Paoli écrivait en italien et il a passé la majeure partie de sa vie hors de Corse. Il n'en était pas moins corse. Ces nationalistes qui réduisent l'identité corse à la langue parlée sur France 3 Corse, qui n'était d'ailleurs pas celle que parlaient mes parents, se mentent à eux-mêmes. La culture corse, aussi passionnante soit elle, ne peut prétendre à la parité avec la civilisation de Dante et de La Fontaine, c'est ainsi. Le pape Paul VI, qui n'était pas jacobin, a affirmé un jour que « le Français était la langue de l'universel ». Si les jeunes Corses veulent se contenter d'être corses, c'est leur droit, mais ils aboutiront à l'effet inverse de celui qu'ils recherchent. Ils courent le risque, à terme, de folkloriser la Corse, en fin de compte de l'appauvrir. La Corse est menacée par les mêmes maux que la France : les amoureux de la langue française et ceux de la langue corse ont le même ennemi : une inculture mondialisée qui sape la légitimité des peuples et des nations.
GA : Face à ces agitations, que pensez-vous de la réponse du gouvernement. Vous semble-t-elle adaptée ?
P-F P : Je ne crois pas que le gouvernement ait pris la mesure du problème corse. Comment voulez-vous qu'Emmanuel Macron, qui a déclaré au début de l'agression russe que la guerre était « désormais sur notre sol », comprenne quelque chose à un petit pays qui, justement, considère que la terre corse appartient aux Corses. Quelqu'un qui ne comprend pas ce que tant de Français ont perdu en devenant étrangers à leur propre pays, qu'ils confondent avec une administration hors-sol, ne peut pas comprendre la Corse.
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51 commentaires
Les Corses (ni la bonne pensée politico médiatique) ne veulent pas voir le fond du problème qui est que l’islamisme fait désormais la loi dans les prisons françaises. Ses hommes ont remplacé les caïds du « milieu » traditionnel. Colonna l’a payé de sa vie.
On verra apres les élections si les corses sont à la hauteur des idées exposées dans ce texte , je ne dis que celà , j ‘irai voir directement les résultats de la Corse pour constater si ce sont de vrais français patriotes ou alors des forts en gueule sans effet .Je me sens autant corse que breton , vendéen , provençal ,franc-comptois etc….
Si celà continue les indépendantistes vont demander à ce que l’on donne le nom d’une rue, voire d’une place publique à Yvan Colonna, maintenant qu’il est mort! Rebaptiser la place du Maréchal Foch à Ajaccio par exemple serait du meilleur effet! Pour l’assassin d’un Préfet français!
Mais existe-t-il un département qui souhaite être débordé par l’immigration ?!
On a vu l’hommage rendu à un assassin cela fait très macronien c’est pour cela que le smédia officiels l’ont relayé avec fierté.
Macron inculte et ignorant des vrais problèmes. Quel beau jeune homme que ce faux-apôtre que les bisounours veulent réélire!
La Corse fait partie de la France, sa position géostratégique est telle que si elle devient indépendante ne pouvant vivre en autonomie elle serait la proie rêvée de puissances chinoises arabes etc… nous ne pouvons pas plus que Poutine avoir des puissances militaires proches de nous . Sans compter que la Bretagne serait en droit de demander comme le Pays Basque des privilèges voire une séparation.
Ne détruisons pas une France qu’on a mis patiemment neuf siècles d’ordre capétien à construire .
Qu’ils commencent par changer de drapeau . Savent-ils que cette tête de Maure est celle d’un prisonnier barbaresque ( mulsulman !) qui avait les yeux bandés ? Ce n’est pas parce qu’aujourd’hui c’est un bandana . Il y a 4 têtes identiques sur le drapeau de leur voisine , la Sardaigne . Alors , un peu de courage , mettez-y la tronche de Colonna !
Cet horrible assassinat dans un lieu qui devrait être sécurisé à outrance, n’est-il pas tout simplement qu’une effroyable macronade de plus pour essayer de glaner quelques voix. Signé par un Corse qui se veut viscéralement Français.
Selon moi, ça sent la « négligence organisée ».
Comme vous le dites cet horrible assassinat! Je ne suis pas Corse mais j’aime cette île belle et forte par sa fidélité à sa terre et à sa Famille. Comment un GVT digne de ce nom comme celui de la France peut mettre ensemble dans une cellule un corse avec un terroriste islamiste? C’est inadmissible, les regrets me font rire car c’est avant qu’on doit penser aux risques d’une telle négligence. A croire que c’était fait « exprès » pour enflammer la Corse avant les élections, bizarre non?
Si Colonna n’est pas l’assassin du préfet comme le pensent les Corses, alors l’assassin, Corse, est en liberté et cela ne l’a pas gêné depuis 20 ans de laisser un innocent croupir en prison. C’est sans doute ce qu’ils appellent le » sens de l’honneur corse « . Sinon Colonna était bien l’assassin et en faire un héros maintenant ne démontre pas beaucoup d’intelligence de la part de tous ces gens et il n’y a pas de quoi en être fier. A méditer.
Excellent commentaire. J’ai vécu et travaillé en Corse pendant 9 ans. J’y ai fait un enfant et ait eu 3 petits enfants. En tant que continental, je ne me suis jamais ressenti comme rejeté par les corses « pur jus » Il suffit simplement de les prendre tels qu’ils sont avec leurs qualité et leurs défauts. Admettre, ce qui est mon cas, qu’il puisse revendiquer une autonomie, voire l’indépendance pour continuer à être corses ne me choque pas. J’aimerai qu’il en soit de même pour la France continentale
C’est une analyse que je partage totalement.
n’etant pas Corse moi meme je fait miennes les observations de monsieur Paoli
Très bonne explication. Les Corses ont bien raison de refuser les dérives de la France continentale, et notamment en matière d’immigration
Et le râteau à suffrages est de retour
et la raffale de promesses électorales qui selon monsieur Chirac étaient faites pour etre élus pas pour étre tenues