Les cinquante ans de Kraftwerk : et si on dégonflait la baudruche ?

Pour résumer, sans Kraftwerk, il n’y aurait peut-être jamais eu de David Guetta...
Capture d'écran
Capture d'écran

Avec la ressortie d’Autobahn, son premier album, Kraftwerk (« centrale électrique », en allemand ; amis poètes, bonjour) fête son demi-siècle. L’orchestre est né à Düsseldorf, en 1970, menée par Ralf Hütter et Florian Schneider, deux multi-instrumentistes ayant longtemps versé dans un jazz plus ou moins ébouriffé. Voilà qui s’appelait alors le « krautrock », pour « rock-choucroute ». Il faut de tout pour faire un monde.

Alors que tous les musiciens de l’époque, ici en Europe ou ailleurs aux USA, portent cheveux longs et vestes afghanes, le duo se rend tôt chez le coiffeur avant d’arborer des costumes d’expert-comptable, nettement moins flashy.

Une esthétique entre Tergal™ et gomina

Décidés à faire du passé table rase, ils envoient valser guitares et batteries pour les remplacer par des synthétiseurs et des boîtes à rythmes. À en croire le très savant Dictionnaire du rock (Robert Laffont), publié sous la direction érudite de Michka Assayas, « l’objectif est de refléter avec une froideur objective le monde industriel de la Ruhr ». Fantaisie allemande, quand tu nous tiens.

Ce sera donc le tube Autobahn, ode à l’autoroute, Radioactivity, hymne aux centrales nucléaires, puis The Robots qui annonce, non sans quelque prescience, une sorte d’humanité augmentée par les machines.

Bon, on l’aura compris, on n’a pas précisément affaire à la Bande à Basile.

Krafwerk, le père du hip-hop ?

Rapidement, Kraftwerk connaît un rayonnement artistique international, allant jusqu’à influencer David Bowie en personne, ce dernier tenant à enregistrer dans les studios Kling-Klang fondés par Ralf Hütter et Florian Schneider. « Kling-Klang », déjà… rien que ce nom, on sent qu’on n’est pas là pour rigoler et chanter à califourchon sur des chaises, tels les soldats allemands de La Grande vadrouille.

Leur aura est telle qu’un Afrika Bambaataa, qui n’a pourtant pas tout à fait le look bavarois, est l’un des premiers à sampler du Kraftwerk, précédant en cela nombre d’artistes de techno, de hip-hop, de house music qui ne tarderont pas à en faire leur garde-manger musical. C’est dire l’ampleur du désastre à venir.

Un certain snobisme de la critique fera le reste. Il est de bon ton de révérer ce groupe, au nom du modernisme ambiant. Il est vrai que ce dernier est visionnaire, les synthétiseurs s’apprêtant à envahir la musique occidentale des décennies à venir. Sans surprise, il devient aussi l’une des coqueluches de notre droite radicale, ne serait-ce que par leur look vestimentaire pour le moins totalitaire, à l’opposé du débraillé hippie, leurs rythmes martiaux et leurs airs de nazis de carnaval. Ce n’est donc pas par hasard que le même David Bowie, alors en pleine période Goebbels sous cocaïne, vient y chercher une sorte de nouveau souffle.

Avec Kraftwerk, ça ne rigole pas !

Tel que l’écrit l’excellent écrivain Pierre Robin, lui-même tenant historique d’une droite dure en costume cintré, dans un essai définitif sur la question, Groupes pop à mèches 1979-1984 (Actes Sud), Kraftwerk est donc vite devenu père de famille nombreuse, voir de nombreuses familles. Le look Hütter/Schneider devient la norme : mines d’enterrement, sourcils froncés et sourire prohibé. C’est le magazine Actuel des années 80, des jeunes gens chics et branchés, mode lancée par Jean-François Bizot, fondateur du mensuel en question, tout juste revenu du Larzac et de ses communautés. Jobard un jour, jobard toujours.

Après, la question qui brûle les lèvres : quid de la musique ? Là, les avis divergent et, comme toujours, c’est question de goût, les amateurs de mélodies usinées à la presse hydraulique et à la pompe à vélo ayant, eux aussi, droit de cité. Pour le reste, c’est un brin répétitif. Remarquez, quand on fait dans le robotique, c’est un peu un passage obligé. Bien sûr, il sera objecté que Kraftwerk fut précurseur. Pas faux, mais guère plus que Hot Butter et sa fameuse ritournelle Pop Corn, elle aussi exécutée sur un orgue Bontempi™. Mais, là au moins, il y avait du jovial et des donzelles qui trémoussaient du valseur. Pas tout à fait l’esthétique de nos nouveaux jansénistes, donc.

D’ailleurs, y a-t-il véritablement raison de se vanter de leur influence planétaire ? Pas vraiment. Car si elle avait été moindre, on n’aurait sûrement pas eu à s’appuyer, des années durant, ces groupes aux membres pianotant avec deux doigts sur leurs claviers, ressemblant tous plus ou moins à des garçons de bureau coincés derrière leur photocopieur. Pour résumer, sans Kraftwerk, il n’y aurait peut-être jamais eu de David Guetta et le monde ne s’en serait sûrement porté que mieux.

PS : il est probable que parmi nos lecteurs, il puisse y avoir des fans de Kraftwerk. Mais que ces derniers conviennent au moins de ceci : au début, la plaisanterie pouvait être drôle. Mais les meilleures blagues sont généralement les plus courtes. Et aujourd’hui, un demi-siècle après, on a aussi le droit de trouver le temps un peu long. Surtout que les fâcheux devraient encore sévir à Saint-Malo, lors de son traditionnel festival La Route du Rock. Pitié pour les Malouins !

Picture of Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

16 commentaires

  1. Je suis un petit peu jeune pour avoir connu autre chose que la queue de comète de la hype. On achetait des magazines rock et on y parlait de Kraftwerk comme un vieux groupe de référence des années 70. Je ne vois pas du tout la filiation avec les DJ’s. C’est de la musique électronique, et alors ? Kraftwerk aurait influencé Indochine ? A la limite, une filiation dans le look avec la new wave, musiciens coupe rafraîchie et costume, que les étudiants en commerce prenaient pour des militants du RPR. Mais musicalement, Kraftwerk est exactement ça : un précurseur pas vraiment copié. Un peu mou et répétitif en version originale si on n’aime pas la transe douce. Mais il y a des versions maxi plus pêchues et – oui j’admets – dansantes.

  2. Kraftwerk sont les pères de las musique électronique. On leur doit tout. Et pour moi c’est une musique de droite, ce qui ne gâche rien

  3. Je n’écouterais peut être pas Kraftwerk pendant des heures, mais ce qui est sûr c’est que je ne peux pas écouter du rap plus de deux secondes.

  4. J’ai vécu effectivement cette période comme le début d’une décadence musicale. Alors qu’une oeuvre et qu doit dégager une sensibilité, il n’y en a ici aucune. C’est le début d’une succession de notes amalgamées mécaniquement sur un rythme automatique et syncopé, qui a, malheureusement, fait école avec, déjà le disco, puis le rap.

  5. La seule idée de génie qu’a eue David GUETTA, c’est de s’installer à IBIZA…. au moins là, il occupe moins l’espace médiatique français!

  6. Ils ont marqué mon adolescence indéniablement, détonnant et étonnant dans une période musicale un peu morne. Dire que je suis encore fan, pas vraiment mais de là à les jeter aux gémonies comme semble le faire cet article, évidemment non, pour le coup je vais me réécouter Radioactivity discovered by Madame Curie, nostalgie heureuse oblige.

  7. Certes, certes… Mais ils ont été connu à l’international. A part Jean Michel Jarre, lui aussi précurseur de la musique électronique, qui en France depuis des Adamo, Gilbert Becaud, Charles Aznavour, Edith Piaf, bref les années 60-70, sont un peu connus à l’étranger? Les allemands que je peux citer de tête seraient Nena, Nina Hagen, Falco, connus certes pour un seul tube (ou presque, i.e. 99 luftballons, African Reggae, Herr Kommissaar) mais néanmoins connus hors de leur frontière. Clair que le style Kraftwerk est de son époque, mais ça s’écoute encore bien.

    • Jean-Michel JARRE n’est pas le précurseur mais plutôt Klaus SCHULZE à la discographie impressionnante- plus de cent disques-, après avoir été membre du groupe Ash Ra T’emmerde, créé en 1970.
      Nous avons aussi, dans les mêmes années, Tangerine Dream, puis plus tard Detlef Keller et bien d’autres.
      À noter que tous sont allemands, les véritables précurseurs dans ce domaine.

  8. Le son mécanique et déshumanisé des K. a bien eu quelques avatars plus ou moins morts-nés, comme les inaudibles Talking Heads ou les « cheap » snobs Propaganda, néanmoins sans eux peut-être que Cure ou Talk Talk auraient sonné différemment… A part ça, espérons que notre ami Nicolas a pensé à nous concocter une bafouille au sujet du « Led Zeppelin Legacy Tour 2025 »…

  9. Je n’avais jamais entendu parler de ce Kraftwerk ! Rien que le nom craque déjà bien sous la dent et aux oreilles !

  10. Cette musique aurait pu avoir un côté intéressant ( elle l’ a eu ! ). Mais hélas, elle a ouverte une boite de Pandore ( bien pratique pour des non-musiciens, même s’il ne faut pas généraliser ). Maintenant ? Il est bien rare de trouver la musique  » vivante » que j’aime. Sans sampler, sans boites à rythmes, et la liste serait longue…

  11. On a bien eu la chanteuse Gabriele Susanne Kerner (née le 24 mars 1960), plus connue sous son nom de scène Nena, est une chanteuse allemande qui a connu une renommée internationale en 1983 grâce à la chanson « 99 Luftballons » qui dénonce la guerre froide entre la russie et l’occident et le mur de Berlin

Commentaires fermés.

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

Il faut faire des confettis avec le cordon sanitaire
Gabrielle Cluzel sur CNews

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois