Il y a 50 ans, Pol Pot entrait dans Phnom Penh. La gauche exultait.

Phnom Penh venait de tomber aux mains des Khmers rouges. Le génocide ferait près de deux millions de morts.
Dr. Hubertus Knabe-Wikimedia Commons
Dr. Hubertus Knabe-Wikimedia Commons

Ils avaient soutenu Staline et, pour beaucoup, roulaient encore pour Moscou ; puis ils avaient eu sur leur table de chevet Le Petit Livre rouge de Mao, bible de l’intelligentsia française. Alors, en ce 17 avril 1975, c’était jour de liesse, à Saint-Germain-des-Prés : Phnom Penh venait de tomber aux mains des Khmers rouges. Le génocide qu’ils allaient perpétrer ferait près de deux millions de morts en seulement quatre ans.

Rappelons quelques chiffres, pour mémoire. Staline : sans doute 20 millions de morts, dont 6 à cause de la famine en Ukraine, entre 1931 et 1933. Mao Tsé-toung : 36 millions de morts par famine, entre 1958 et 1962. Pol Pot : entre 1,7 et 2 millions de Cambodgiens exterminés, entre 1975 et 1979, soit le quart de la population du pays.

Des révolutions couvées dans le giron de la France

En principe, on ne parle pas de soi, mais je vais le faire ici. En ce mois d’avril 1975, j’étais une jeune étudiante fraîchement arrivée à Paris. J’y avais, parmi d’autres, des amis cambodgiens que leurs familles avaient envoyés ici poursuivre des études entreprises au lycée français de Phnom-Penh. C’est sur ces familles que s’est abattue en priorité la folie des Khmers rouges et de leur chef, Saloth Sâr, alias Pol Pot, chef du Parti communiste du Kampuchéa.

Bénéficiaire d’une bourse du « colonisateur », Pol Pot était venu à Paris poursuivre des études médiocres à l’école Violet, entre 1949 et 1953. Il est d’ailleurs bon de rappeler ici, comme le faisait Le Parisien en 2015, que « ces stalino-maoïstes ont, pour la plupart, fait leurs classes à Paris, fascinés par Robespierre et la Commune ». Et des quelques « 250 étudiants cambodgiens qui ont bénéficié d'une bourse pour étudier en France après la Seconde Guerre mondiale, la plupart sont devenus cadres du régime khmer rouge ».

Fidèle à ses modèles soviétique et chinois, animé de la même folie paranoïaque, Pol Pot veut abolir la famille, la propriété privée et la religion. Comme Staline et Mao, il va instaurer par la force sa révolution paysanne. Tout ce que la société compte d’intellectuels – professeurs, médecins, ingénieurs, moines bouddhistes… – est immédiatement envoyé aux champs. La plupart des habitants de la capitale mourront d'épuisement en route vers les camps, les autres de faim, de maladie, sous la torture ou au rythme des exécutions sommaires.

À Paris, les nouvelles sont rares. Mes amis sont perdus, tentent d’arracher çà et là des bribes d’information qui contredisent les titres d’une presse enthousiaste. Des mois durant, ils espèreront l’arrivée d’un parent, d’un cousin, d’un frère qui auront pu échapper au massacre en payant au prix fort le passage des frontières. J’apprendrai, des années plus tard, que mon voisin, marchand de journaux si discret, était l’ancien patron de la police de Phnom Penh. Fin lettré, passé par les camps, torturé par le régime qui avait exterminé sa famille, il vivait en retrait et s’appliquait à une discrétion sans faille.

L’incurable cécité idéologique

Dans la chronique qu’elle consacrait sur Europe1, ce 17 avril, à ce sinistre anniversaire, Eugénie Bastié rappelait « le titre glorieux » de Libération, ce jour-là : « Le drapeau de la résistance flotte sur Phnom Penh ». Le Monde saluait, quant à lui, « un enthousiasme populaire évident », et L’Humanité célébrait « la victoire du peuple cambodgien ».

Pourtant, disait Eugénie Bastié, « on pouvait déjà savoir que derrière les grands idéaux communistes, les miradors et les goulags ne tardaient pas à surgir ». Et Soljenitsyne, invité quelques jours plus tard chez Pivot, « mettait en garde les intellectuels occidentaux contre la tentation de s’aveugler sur les méfaits du communisme ». Qu’à cela ne tienne,: on nous serinerait encore longtemps que tout cela n’est que le dévoiement d’une idéologie incontestable parce que fondamentalement généreuse.

Pas plus que les mues du PC après l’invasion de la Hongrie, en 1956, ou l’entrée des chars dans Prague en 1968, nos intellectuels français ont voulu voir ce qui se tramait au Cambodge. Le veulent-ils, aujourd’hui ? Pas davantage, et l’utopie prométhéenne qui les habitait n’a jamais faibli. « Faire du passé table rase », à n’importe quel prix, est un mot d’ordre qui connaît un regain de vigueur wokiste sur les bancs de l’Assemblée. La leçon n’a jamais été apprise, encore moins retenue. C’est ainsi qu’en 1979, l’année même où la dictature cambodgienne était renversée, une autre révolution avait lieu, à Téhéran cette fois, non pas menée par les communistes mais par les islamistes. Depuis le 10 octobre 1978, jour de son arrivée à Paris, les mêmes – les Sartre, Foucault, Beauvoir et consorts – se précipitaient à Neauphle-le-Château pour baiser le turban de l’ayatollah Khomeiny. La gauche antimondialiste et tiers-mondiste n’avait d’yeux que pour les mollahs, Sartre allant jusqu’à déclarer : « Je n’ai pas de religion, mais si je devais en choisir une, ce serait celle de Shariati », faisant référence au philosophe iranien 'Alî Sharî'atî, décédé en Angleterre en 1977.

Vingt ans plus tard, j’avais fait la connaissance de Habib Sharifi, un Iranien de grande culture, réfugié en France avec sa famille après la chute du chah. Il enseignait la littérature persane à la Sorbonne et travaillait à son premier ouvrage en langue française : Le Soufisme, mystique de l’Orient. La guerre en Tchétchénie faisait alors rage et je n’ai jamais oublié les mots de cet homme, affolé par l’atmosphère qui régnait ici : « Vous ne comprenez rien, vous ne voyez pas, disait-il. Réveillez vous, le danger, c’est l’islam ! »

Rien n’a changé, Mélenchon et ses affidés en apportent la preuve quotidienne : admirateurs de Robespierre, soutiens des révolutions sanguinaires et des dictatures rouges, aujourd’hui bras armé de l’islamisme, la gauche et ses extrêmes n'ont jamais rien regretté ni renié.

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Marie Delarue
Journaliste à BV, artiste

Vos commentaires

53 commentaires

  1. « 250 étudiants cambodgiens qui ont bénéficié d’une bourse pour étudier en France après la Seconde Guerre mondiale, la plupart sont devenus cadres du régime khmer rouge ». Comme quoi le bourbier dans lequel se complait notre université ne date pas d’aujourd’hui.

    • Soit l’Europe en général et la France en particulier sont devenues totalememnt amnésiques voir incultes ou encore inconséquents soit l’Occident se contre fiche de ce qui est entrain de lui arriver si nos dirigeants ne bougent pas. Et que l’on ne vienne pas me raconter que c’est trop tard ou encore entendre dire, « qu’est-ce qu’on peut faire? » Ceux là sont des pleutres qui sont légion au sein de nos dirigeants. Quand on veut, on peut.
      La gauche utopiste est dangereuse, la droite dite républicaine est devenue faible, il est grand temps qu’elle se bouge avec détermination et fermeté, c’est possible sinon….

  2. Pouvez vous me citer un seul régime d’un pays gouverné par la gauche voir l’extrême gauche qui ne c’est pas passé dans le sang ???
    Russie, Chine, Corée du Nord, Cambodge, Vietnam, Cuba, Bolivie, Venezuela, Cuba … et quelques pays africains ????

  3. 2000 000 de morts d’accord mais des mal pensants. Pas de quoi justifier des mea culpa de la part des figures de la gauche. Parlons en aussi un peu à Mr Mélanchon.

  4. Le bilan est sous-estimé car on fait état d’environ 100 millions de mort liées aux communistes depuis 1 siècle. Mais le pire sans doute est le genocide cambodgien qui fait état de presque 30% de la population.
    Mais il est bon de rappeler que nos « intellectuels » (quel dévoiement de ce mot !) ont toujours soutenus, encore aujourd’hui, tous ces régimes communistes dont aucun n’a été ou n’est démocratique. Il est vrai que le peuple est tellement bête qu’il ne peut pas comprendre que c’est pour son bien …

  5. J’en suis sur qu’une majorité des sbires à Mélanchon pour commencer certains députés ignorent qui était ce montre d’extrême gauche Pol Pot. Il faut aussi leurs rafraîchir leurs mémoire ou les informer que leur idole Robespierre à mal fini a force d’envoyer une partie de la population qui était contre ses idées, il à fini sur l’échafaud

    • Leur idéologie leur a fait manquer la lecture de « L’utopie meurtrière » de Pin Yathay parue en 1980. Mais que pouvait donc leur apprendre un rescapé du génocide cambodgien.

  6. C’est ce jour la, en decouvrant la une du Monde, et ses articles, ah le journal de « référence », que j’ai decidé de ne plus lire et surtout ne pas croire le Monde.

  7. Je me rappelle les articles dithyrambiques du thuriféraire JEAN LACOUTURE, journaliste très engagé à GAUCHE, qui n’en pouvait plus de crier victoire , dans le journal « Le Monde « ,pour fêter l’entrée des khmers rouges dans Phnom Penh

  8. Il faut rappeler que lorsque les Vietnamiens (communistes) envahissent le Cambodge, en 1979, pour renverser Pol Pot et sa volonté expansionniste dans le Sud du Vietnam, la Droite française condamne cette intervention en emboitant le pas à la Chine (communiste) qui soutenait le génocide perpétré par les Khmers Rouges. Pourquoi ? D’abord, par principe dit « réaliste » en matière de Relations Internationales (pourtant, sans cette invasion réactive aux agressions Khmers Rouges, Pol Pot serait resté au pouvoir). Ensuite parce que le Vietnam était proche de l’URSS à l’époque (contre le Chine, donc), et que la Chine était courtisée par l’Occident et la Droite française (Il ne fallait pas dire du mal de la Chine, même à Droite). Enfin, parce que dans la France dite De Droite, à l’époque, les subtilités nationales à l’intérieur du monde communiste étaient niées (seul le communisme expliquait tout): donc la volonté hégémonique de la Chine était niée par la Droite (aujourd’hui, la Chine a une base militaire au Cambodge !), et l’intervention des communistes vietnamiens était suspectée par la Droite française en raison de la crise des réfugiés (Boat People) en 1978 : il était hors de question de féliciter le Vietnam d’avoir mis fin au génocide. Contradictions de la Droite française à se remémorer….Quant à la Gauche française, aucune contradiction : stalinienne jusqu’à l’os !

  9. On a eu une indulgence coupable envers le communisme, et notamment celui post – Staline. Ceux, et medias qui ont soutenu Mao et
    Pol Pot sont de fait des complices de crimes contre l’humanité. Et certains sont encore là se posant en donneurs de leçons.
    Le PCF aurait dû être dissous et les journaux felons privés de toutes subventions.
    Mais tout continue comme avant, comme si de rien n’était.
    Quelle honte…

  10. Merci de vous lire comme vous avez raison il faut faire très attention à cette gauche qui avance et qui devient un danger pour nous en France.

  11. Quelle meilleur conclusions que la votre, on peut le regretter mais le monde est ainsi fait, tout les jours le Nouveau Front Populaire nous le prouve encore a présent, hier encore des admirateurs du FLN plus récemment du Hamas indignation sélective d’un pays qui se défend mais amnésique ailleurs comme pour les enfants du Soudan. Un pauvre petit Palestiniens est meilleur qu’un petit Soudanais où quelques autres.

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