Elkabbach, la trouble fascination du pouvoir

Il était devenu emblématique d’un certain journalisme politique. Connu de tous les Français, Jean-Pierre Elkabbach est mort ce 3 octobre, à 86 ans, après une carrière marquée par une fascination obsessionnelle du pouvoir.
Suractif, toujours en mouvement, toujours en recherche des bonnes relations, des bons invités et des mots qui feront mouche sans abîmer son image auprès des puissants, Elkabbach avait cette fièvre de l’information quasi pathologique, à l’image d’un Étienne Mougeotte, figure d’Europe 1 lui aussi, de TF1 puis du Figaro. Drogué au travail jour et nuit, fiévreux, tranchant, coupant, mettant toute son énergie à séduire les puissants – politiques et patrons -, Elkabbach s’impose au quotidien une discipline de fer qui inclut une séance de sport quotidienne et un régime alimentaire strict jusqu’à un âge avancé.
Mauvais cheval
Une carrière lancée tambour battant à Oran, en Algérie. En quelques années, le jeune pied-noir hostile à l’Algérie française devient, à 33 ans, présentateur télévisé de la première chaîne. Il ne quittera plus le paysage des médias français. Parvenu à des postes de responsabilité à France Inter et Antenne 2, ce grand lecteur, passionné de politique, mise sa carrière sur la réélection de Giscard. Quitte à faire le ménage. En octobre 1979, Claude Sérillon parle, dans sa revue de presse, de l’affaire des diamants de Bokassa : Elkabbach l’écarte sans ménagement. Son visage décomposé lors de l’élection de Mitterrand en 1981 fera couler beaucoup d’encre. Elkabbach a misé sur le mauvais cheval : dans la foulée, Antenne 2, toujours indépendante du pouvoir évidemment, se sépare de ce journaliste devenu encombrant. La chute est brutale. « C’était une période où même ceux que j’avais aidés ou promus changeaient de trottoir quand ils me voyaient. J’étais atteint de mort sociale, je n’existais plus. J’ai connu l’ANPE [le chômage, NDLR] », racontait-il en 2015.
Le journaliste ne mettra pas longtemps à revenir en grâce : Mitterrand accepte de réaliser un documentaire avec lui, François Mitterrand : Conversations avec un Président. Il sera diffusé en cinq volets après la mort du président de la République.
Scandales
Le présentateur viré par la gauche trouve refuge à Europe 1, où il gravit tous les échelons jusqu’à prendre la direction de la station. En 1993, Europe 1 ne lui suffit plus, retour au service public : il est élu président de France 2 et France 3. Pressé de doper l’audience de ses chaînes, il fait des ponts d’or sur le dos du contribuable à Delarue, Nagui ou Arthur. Et se retrouve sous les feux croisés de l’affaire des animateurs producteurs : elle lui coûtera son poste après seulement trois ans de présidence.
En 1997, Elkabbach a atteint l’âge de la retraite : 60 ans. Un mot vide de sens pour cet hyperactif toujours avide de relations haut placées et de lumière. Il reprend l’interview du matin sur Europe 1, devenant aussitôt le proche conseiller d’Arnaud Lagardère et l’administrateur de son groupe média. En 2006, scandale : Elkabbach a demandé conseil à Nicolas Sarkozy, pas encore président de la République (il sera élu en 2007), avant de choisir un journaliste politique pour Europe 1. La proximité maladive du journaliste avec le pouvoir lui joue un nouveau tour.
En 2008, nouveau scandale : Elkabbach exige qu’Europe 1 annonce très vite la mort de l’animateur Pascal Sevran. Trop vite… Sevran n’était pas mort. Elkabbach parlera d’une « erreur collective », provoquant une levée de boucliers des journalistes d'Europe 1, avant de reconnaître, sous la pression, une erreur individuelle : la sienne. Éjecté d’Europe 1 dans la foulée, il rebondit, à 62 ans, en 1999, à la présidence de la chaîne Public Sénat. L’homme n’hésite pas à donner des gages au pouvoir. En 2015, Elkabbach s’en prend à Marine Le Pen dans son interview du matin sur Europe 1 en lui lançant d’emblée : « Vous n’avez pas honte ? » L’interviewée se défendra assez facilement de son absence à la manifestation post-Charlie Hebdo, mais Elkabbach s’est dressé à peu de frais une stature de journaliste opposé au mal.
Valse de la connivence et de l'entre-soi
En 2017, à 79 ans, il perd son interview politique sur Europe 1. Fin d’une carrière ? Pas du tout ! Il rebondit aussitôt auprès de Vincent Bolloré, passe à l’antenne de Cnews et devient conseiller média de l’homme d’affaires qui achète là un précieux carnet d’adresses. En 2022, l’homme du « Vous n’avez pas honte ? » défendra, sur France Inter, la chaîne qui l’emploie, CNews, et le recrutement de Zemmour.
Riche, admiré, célébré, Elkabbach aura incarné le journalisme de pouvoir, aussi loin que possible d’un journalisme de convictions, celui d’un Éric Zemmour, justement. Quels étaient ses combats ? Quelle place la France a-t-elle occupée dans cette vie sous la lumière ? Elkabbach incarne ces décennies durant lesquelles journalisme et pouvoir ont dansé la valse confortable de la connivence et de l'entre-soi. Un talent qui aurait pu être mieux employé.
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42 commentaires
» je n’existais plus. J’ai connu l’ANPE [le chômage, NDLR] », racontait-il en 2015. » Faut pas avoir honte non plus pour descendre aussi bas
« Descendre aussi bas », » honte » : c’est de l’humour ? Toute personne normalement constituée a connu, au moins dans les débuts de sa vie « active gagne-pain » et parfois en cours de parcours, la queue aux guichets administratifs de l’ANPE et les conseils un tantinet humiliants de personnes » bien intentionnées ». Mais l’humilité à du bon. A moins de s’être d’emblée embrigadé/infiltré dans les filières sur concours de fonctionnaires inamovibles (juste mutés), et à ce titre dictatoriaux à leur niveau, à défaut d’être dévoués au bien « public »(collectif : une notion philosophique à creuser tout au long de la vie ! )
Un grand journaliste.Que son âme repose en paix et que Nicole Avril reçoive mes condoléances.Néanmoins je l’ai toujours trouvé antipathique et arrogant.
JP ELKABBACH, paix à son âme, est représentatif de la génération de journalistes qui ont régné et règnent encore dans nos médias. Il faut être un peu à gauche, tout en restant proche des allées du pouvoir, et passer son temps à décrire la politique comme un spectacle. Plutôt que de donner des informations fiables.
Dutronc avait tout vu juste : » je retourne ma veste » !
Je n’aime pas cracher sur les morts pourtant il me faut dire que cet homme ne m’a jamais plu.
Je ne vois pas de talent ni de courage à dire: « vous n’avez pas honte ? » à Marine Le Pen. Ça me fait penser à ce chanteur minable qui entonnait Jésus est p… (entendre « homo ») sur l’air de « Jésus revient ». La transgression sans risque par excellence. Il aurait fait beau voir qu’il dît la même chose à Mitterrand à propos par exemple de l’explosion du Rainbow Warrior avec un militant de Greenpeace à l’intérieur. Il savait bien à qui il s’en prenait.
ignoble personnage qui se permet, en public, d’humilier une femme…
Les patriotes ne le pleurent pas .
Ça non !
Franchement son décès ne me fait pas plus d’effet que ne m’a fait celui de Gérard Leclerc… deux journaleux prétentieux à la botte du pouvoir !
Prétentieux, oui.
A mon avis ses convictions étaient de ne pas déplaire au pouvoir en place, ça s’appelle nager dans le sens du courant. A sa décharge, il faut dire qu’il n’était pas le seul à pratiquer cette discipline, qui à toujours cours.
Les chaînes de télévision nous bassinnent depuis deux jours avec la disparition de ce journaliste. Le journalisme c’est l’information et non l’inquisition comme il la pratiquée quand la personne en face n’ était pas de son bord. Toujours aux ordres du pouvoir. Bref un porte parole .
Je ne souhaite la mort de personne, mais il y a des mort qui me laisse aussi froid que le corps du défunt. C’était un journaliste accroché au pouvoir selon son orientation.
Le laquais au service des gouvernants… servile et malléable à souhait , tout le contraire d’un journaliste …aucune contradiction dans ses amitiés
Enfin un hommage nuancé ! Ce familier des pouvoirs fut en effet un professionnel de talent qui aurait pu mieux utiliser le sien et éviter de caresser les mollets de nos dirigeants pour se faire une image de féroce interrogateur tous azimuts en changeant de mollets à chaque opportunité rémunératrice. Avait-il des convictions ? Là n’est pas la question … Un journaliste n’a pas de conviction ; il se fait l’avocat du diable, paraît -il ! Il se fait le porte-parole du téléspectateur ou de l’auditeur, affirme-t-il ! Ben, voyons… comme dit l’autre. Croyez-vous sérieusement qu’un journaliste n’a pas de conviction après soixante ans de carrière professionnelle ? À mon avis, ni diable, ni saint, El Kabach a fini par se taire et une longue maladie n’en fait pas une icône … Un homme, oui ; un pro, oui ; un modèle ? Pitié … épargnez-nous les roquets d’un bord ou de l’autre. Et qu’on ne nous bassine pas avec des hommages corporatistes et laissons à Macron le soin de rendre des honneurs devant les cercueils.
Bravo pour votre commentaire !
Les lecteurs de BV semblent avoir un esprit critique supérieur à la moyenne.
Il était tout, nous avons tous appris de lui, nous ne lui arrivons pas à la cheville, il était indispensable, il est irremplaçable, il ne sera pas remplacé !
Nous n’entendrons qu’éloges et dithyrambes, ceux qui l’ont approché ont reçu l’onction, ils ont rencontré Dieu.
Et moi, je pense que ce type s’autorisait toutes les insolences, toutes les questions les plus insidieuses, se croyait l’égal des plus grands, et même leur supérieur, et savait tout mieux qu’eux, et sous forme de questions leur donnaient des leçons et leur dictait ce qu’il estimait devoir être fait, et les interrogeait sévèrement sur ce qu’ils faisaient ou ne faisaient pas (« N’avez-vous pas honte, Marine Le Pen ? »). Et en plus il magouillait dans les allées du pouvoir, cherchant à obtenir postes et avantages.
Pas étonnant qu’il soit l’idole de la plupart des journalistes.
Ce type a toujours été un insupportable courtisan des puissants !!
Tout à fait d’accord
Oui, cela a été sa raison de vivre !! Un lêche bottes tout simplement !!!!
Un courtisant, oui.
M’sieur Elkabbach, vous êtes venus avec vos questions, moi avec mes réponses (ou à peu près), attribué à Georges Marchais.
Il aurait fait un excellent ministre de macron pour n’importe quel maroquin ….il détenait toutes les « qualités » requises pour y arriver