Déficit des retraites : le mensonge d’État bientôt audité

François Bayrou confiera à la Cour des comptes un « audit flash » sur l’état financier des retraites en France
Capture d'écran LCP
Capture d'écran LCP

Lors de son discours de politique générale, le 14 janvier, François Bayrou a annoncé un « audit flash » sur l’état financier des retraites en France, qu’il souhaite confier prochainement à la Cour des comptes. Ce faisant, il contourne volontairement le Conseil d’orientation des retraites (COR), depuis longtemps décrédibilisé par ses projections abusivement optimistes. Cet organisme prétendument indépendant, mais qui est en réalité un service attaché au Premier ministre, fait état, dans son rapport annuel pour 2024, d’un solde positif du système de retraites de 3,8 milliards d’euros, en 2023, qui deviendrait négatif à hauteur de 6,1 milliards d’euros, en 2024.

Fort de son expérience de haut-commissaire au Plan, François Bayrou évalue, quant à lui, le déficit réel des retraites entre 45 et 55 milliards d’euros. Ce chiffre est inférieur aux estimations de l’ancien inspecteur général des finances Jean-Pascal Beaufret, qui faisait état d’un déficit de 68 milliards d’euros en 2022, ou de l’ex-Premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve, qui parlait de 70 milliards d’euros, dans un article publié par le journal l’Opinion, en avril 2024.

Des subventions déguisées en surcotisations

Comment expliquer cette différence considérable entre ces évaluations et les projections du COR ?

Dans une étude intitulée « Retraites : une base objective pour le débat civique », publiée le 8 décembre 2022, le haut-commissariat au Plan expliquait que « lorsqu’il est affirmé que nos régimes de retraite sont "en excédent", il s’agit seulement et uniquement d'un constat partiel qui ne porte que sur les régimes complémentaires de salariés ou d’indépendants, à l’exclusion des régimes de la fonction publique, des régimes spéciaux et d’exploitants agricoles, dont le large déficit est couvert par des fonds publics ».

Pour « équilibrer » artificiellement le système de retraite, l’État employeur porte les cotisations retraite des agents publics à un niveau trois fois plus élevé, en moyenne, que celles prélevées sur les employeurs du secteur privé : 30,6 % pour les fonctionnaires des collectivités locales ou des hôpitaux, 74,3 % pour les fonctionnaires civils de l’État et 126,1 % pour les militaires, contre 16,5 % pour les salariés du privé. La différence entre le taux pratiqué dans le privé et ceux affichés dans le public correspond à des subventions déguisées en surcotisations, payées, in fine, par les contribuables. Elles s’élèvent, selon Jean-Pascal Beaufret, à 52 milliards d’euros (dont 44 milliards pour la fonction publique de l’État et ses opérateurs et 8 milliards pour les collectivités locales et les hôpitaux publics), auxquels s’ajoutent 8 milliards de subventions de l’État aux régimes spéciaux des entreprises publiques (SNCF, RATP, IEG, etc.). Soit, au total, 60 milliards d’euros, ce qui représente plus du tiers du déficit global de l’État en 2024. Cette analyse rejoint celles développées par le professeur de droit financier public Rémi Pellet ou encore par l’association Sauvegarde Retraites.

Retraites ou traitements à vie ?

Dans un petit livre paru en 2021, Retraites, l’impossible réforme (L'Artisan), le directeur des études de Sauvegarde Retraites, Pierre-Édouard du Cray, a pointé le nœud du problème : à l’inverse des pensions servies par les régimes de retraite du secteur privé, qui obéissent à une logique assurantielle, celles du secteur public sont de nature statutaire et s’apparentent, en réalité, à des rémunérations à vie, dont le niveau est garanti par l’État (à 75 % au minimum du dernier salaire pour une carrière complète, hors certaines primes). Ainsi, le taux de remplacement (rapport entre le montant de la retraite et la dernière rémunération perçue) reste-t-il stable, indépendamment des cotisations perçues, alors qu’il n’a cessé de chuter, dans le secteur privé, depuis la réforme Balladur de 1993. In fine, ce ne sont pas les cotisations qui financent les pensions de retraite du secteur public, mais les contribuables, via les surcotisations/subventions de l’État.

Il en résulte un déficit que l’État s’est longtemps appliqué à dissimuler, mais le déficit public est devenu tel que cette dissimulation gêne, aujourd’hui, les politiques qui cherchent à convaincre les Français de la nécessité d’une réforme. C’est pourquoi le torchon brûle, désormais, entre les gouvernements successifs et le Conseil d’orientation des retraites, dont l’optimisme n’est plus de mise. La publication de l’étude du haut-commissariat au Plan en décembre 2022 n’était pas due au hasard. Le mois suivant, un conflit éclata publiquement entre Élisabeth Borne et le patron du COR, Pierre-Louis Bras, après que ce dernier eut déclaré devant la commission des finances de l’Assemblée nationale, le 19 janvier 2023, que les dépenses de retraite étaient « relativement maîtrisées ». Limogé en octobre 2023, le haut fonctionnaire devait d’ailleurs accuser le gouvernement de « jouer sur la peur » et de « dramatiser son discours pour justifier sa réforme ». Pierre-Louis Bras s’en tenait, en somme, à la version diffusée depuis des années avec l’aval des politiques, qui paient aujourd’hui l’occultation depuis des décennies de la vérité sur l’état des retraites.

Un maquillage des comptes organisé

En effet, l’ignorance de l’État et de ses services n’est pas fortuite : le maquillage des comptes a été et reste organisé. Ainsi, un rapport du Sénat publié en annexe de la loi de finances pour 2024 (annexe 25, Régimes sociaux et de retraite), qui évalue à 38,5 milliards d’euros la « subvention d’équilibre fictive » versée par l’État en 2021 pour équilibrer les comptes du seul régime de la fonction publique d’État, montre en outre comment le gouvernement d’Élisabeth Borne, en faisant du régime général (la CNAV) « l’équilibreur en dernier ressort » des régimes spéciaux structurellement déficitaires des entreprises publiques, « fermés » mais pas supprimés, a extrait du projet de loi de finances – et, donc, soustrait au contrôle du Parlement – les subventions d’équilibre qui leur sont allouées. L’artifice comptable utilisé (via l’attribution, au régime général, d’une fraction de TVA en compensation de ce surcroît de charge) n’est pas sans évoquer le jeu de bonneteau !

Ces mensonges d’État avaient conduit le député du Bas-Rhin Patrick Hetzel à déposer à l’Assemblée nationale, en juin 2024, une proposition de résolution demandant un audit financier indépendant des comptes publics des retraites obligatoires. M. Hetzel ayant été nommé ministre de l’Enseignement supérieur dans le gouvernement Barnier, cette demande a été réitérée le 29 novembre par sa suppléante, Mme Éliane Kremer. François Bayrou a finalement confié cet audit à la Cour des comptes. Les résultats en seront des plus instructifs.

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Éric Letty
Journaliste

Vos commentaires

79 commentaires

  1. « François Bayrou a finalement confié cet audit à la Cour des comptes. »
    Pour ne pas influencer le vote, Moscovici donnera les résultats en 2028.

  2. Il ne faut surtout pas avoir fait l’ENA, pour comprendre qu’en l’état actuel des choses, s’il y a plus de paiement des pensions d retraites qu’il n’y a de cotisations, ce système par répartition va droit dans le mur.

    • Surtout quand on paye des retraites aux plus que centenaires sans aucun contrôle ainsi qu’à des gens qui ne cotiseront jamais !

  3. En marge à cette mascarade de l’état de nos retraites , il est à noter que ces déficits chroniques sont dus en grande partie au nombre des inactifs sans cesse croissant (un brillant observateur lors de son entretien parlait de 4 personnes tirant la charrette pour 6 dedans ) , et puis cette descente aux abimes de la natalité n’est point faite pour redresser la situation mais là ce sont les gauchistes et leurs cohortes de néo féministes qui en sont les grands responsables.

  4. Au même titre que les employeurs du privé qui financent une grande partie des retraites de leurs salariés, l’état finance, et c’est normal, celle de « ses salariés » (en trop grand nombre). Mais, là où le bât blesse c’est la disproportion tant au niveau pécunier (75% pour les uns, 50% pour les autres), que de l’âge de départ de certains, voire beaucoup de fonctionnaires par rapport au privé. Fort de ce constat et par souci « d’égalité », sinon « d’égalitarisme », pourquoi ne pas faire cotiser de façon obligatoire tous les fonctionnaires et salariés des trop nombreuses entreprises publiques à une organisation de retraite complémentaire comme il est exigé aux salariés du privé ? Il y a là, me semble-t-il, matière à redresser, « un peu », le déficit abyssal et progressif des caisses de retraites. Je pose simplement une question que j’estime être de l’ordre du bon sens.

  5. Si je comprends bien, la cotisation « patronale » de l’Etat pour financer le régime de retraite de ses employés (fonctionnaires, militaires et régimes spéciaux) est nettement supérieur à la cotisation du secteur privé. Je peux le comprendre pour des militaires qui peuvent risquer leurs peaux pour défendre le pays et qui partent tôt à la retraite car faire la guerre à 65 ans n’est pas un gage de réussite, par contre je comprends le surcoût des régimes des fonctionnaires locaux et d’Etat est dû à une retraite équivalente à 75% du dernier salaire. D’expérience, je sais que quelques uns sont largement promus avant leur retraite afin de mieux en profiter. Pour le privé, il est pris une moyenne de 25 ans ce qui, d’après une étude, en ayant tout ses trimestres correspond, pour un salaire brut de 3000€ en fin de carrière, à une retraite de 1528 €, soit seulement 51% du dernier salaire.
    Si économie il doit y avoir, c’est bien sur le taux des retraites des fonctionnaires.
    Ou bien, il faut que l’Etat assume de payer des cotisations supplémentaires pour financer la retraite de ses employés.
    Il est donc tout à fait compréhensible qu’on puisse dire que les retraites sont à un quasi équilibre si on considère que la cotisation supplémentaire versée par l’Etat est une cotisation retraite, certe importante, mais causée par son propre système.

  6. À force de déplacer l’eau dans les trous on ne sait plus où on en est ! Tant qu’on dira comme Orwell que 2+2=5 on maquillera la vérité. Tout est dans la subtilité comptable ! Trump au secours !

  7. Au lieu de parler d’age de départ en retraite, il serait plus juste de parler de « durée de cotisations » et de proportionaliser le montant de la pension avec cette durée. Ainsi ceux qui ont commencé tôt pourraient s’arrêter tôt. Celà pourrait aussi pousser les jeunes à quitter l’école et travailler dès le plus jeune âge, notamment pour combler les métiers en tension sans recours forcé à l’immigration.

  8. Quelle perte de temps avec Bayrou qui ne fera rien , et transmettra cet audit aux partenaires sociaux qui bloqueront tout changement . Retour a la case départ / 6 mois de gagné pour Bayrou .
    C’est un type comme Trump qu’il faut a la téte du pays . Assez de parole , d’audit , de commission

  9. Tout ce que sait faire Bayrou, un audit, une commission bref, tout pour ne pas décider, ne rien faire.
    Bayrou, c’est Mikado: di je bouge, j’ai perdu !
    Faudrait l’envoyer en stage chez Trump.

  10. Que fera t’on des conclusions de cet audit?
    Je suis peut être un peu limité mais j’espère que le résultat sera plus clair que votre démonstration qui m’enfume l’esprit j’avoue, mais je ne fais pas partie des élites, c’est normal que je ne comprenne rien.

    Rendez l’argent et vos retraites inutiles et exubérantes, je pense que nous serons tous d’accord pour dire que la réussite si méritée soit elle hypothétiquement, ne justifie en rien des retraites à hauteur de 28 000€ pour Monsieur BARNIER juste pour exemple! Je n’imagine même pas le montant des retraites de certains autres et avantages en nature, indemnités de départ etc… Branco avait raison et les gilets jaunes aussi, ils sont la corruption pendant que certains regardent leur frigo vide et travaillent dur… »Les français travaillent moins que les autres », c’est une tartine médiatique de ministre trop jeune pour avoir assez travaillé et bien trop payé et surtout une phrase qui ne veut rien dire!

  11. Cette façon de faire s’appelle « l’équilibre des comptes ». Et justement, on compte depuis trop longtemps sur le privé pour éponger le déficit des retraites du secteur public. Sauf que cette façon de faire n’est plus tenable. Le phénomène des vases communicants est tari. On y arrivera au système à points et aux fonds de pension qu’on le veuille ou non. En attendant les Borne et autres se gavent et ne risquent pas de mettre en cause le système tant qu’ils y trouvent avantage. Seule la réalité les y obligera. Ça ne saurait tarder.

  12. Aucun système n’échappe à la logique des nombres .
    La répartition , les actifs cotisent et leurs cotisations paient en temps réel les retraites des inactifs . Si le nombre d’actifs baisse et le nombre d’inactifs retraités augmente , problème . 

    La capitalisation , les actifs achètent des produits financiers , les retraités vendent leurs actifs financiers , si le nombre d’acheteurs baisse et le nombre de vendeurs augmente , le montant des retraites s’ajuste à la baisse .
    Dans le système par capitalisation les fonds investis suivent la vie des marchés financiers avec les risques que l’on connait en fonction de la nature des produits.

    Le système par répartition est insupportable pour les institutions financières (assureurs , banques …) , ce « pognon de dingue » qui leur passe sous le nez sans pouvoir le tripoter , une horreur .

  13. Il est scandaleux que les politiques, pour masquer leur incompétence, s’échinent à monter le public contre le privé, alors que leurs retraites échappent à tout contrôle. N’oublions pas, que les Français étaient opposés à la gestion des retraites par l’état. Aujourd’hui, on peut constater que nos anciens avaient bien raison d’être méfiant. En effet, la question que chaque Français devrait se poser est: Où est passé l’argent des cotisations?

  14. Quand je lis certains commentaires qui fustigent encore et toujours l’immigration, comme la principale cause du problème.. Soit c’est du racisme pur soit de la bêtise.
    Heureusement que nous avons cette immigration qui nous permet de faire tourner notre économie, notamment dans le bâtiment et les TP, et de renflouer un nos caisses de retraite.
    Cela fait des décennies que le problème des régimes spéciaux et des fonctionnaires payés à vie est sous la table, avec la menace de blocage du pays si jamais on venait à remettre en cause ces avantages d’un autre âge.

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