[CHRONIQUE] Proportionnelle : nécessité démocratique ou petits arrangements entre amis ?

Le Premier ministre a engagé les consultations politiques sur le changement de scrutin. Est-ce une nécessité démocratique ou une énième manifestation de l’esprit de conservation d’une classe politique qui a perdu tout crédit auprès des Français mais cherche encore à faire perdurer un système à bout de souffle ? « Encore un instant, Monsieur le bourreau », semble-t-elle demander au peuple.
Scrutin uninominal à deux tours : « loi fondamentale du royaume » ?
Les néo-gaullistes ont fréquemment affirmé que le scrutin uninominal à deux tours était un des fondements de la Cinquième République, une sorte de « loi fondamentale du royaume » énoncée par le fondateur de nos actuelles institutions. En réalité, il n’en est rien. En ce domaine, comme en beaucoup d’autres, de Gaulle était avant tout un pragmatique. En 1945, il était favorable au scrutin proportionnel car il craignait que le scrutin majoritaire ne favorise le très stalinien Parti communiste français. En 1958, plusieurs options lui furent présentées par Debré, Pinay, Pflimlin ou Guy Mollet, parmi lesquelles un système à l’allemande mélangeant le scrutin majoritaire et le scrutin proportionnel national, le scrutin majoritaire que nous connaissons, un scrutin majoritaire revenant à la proportionnelle si personne n’atteignait la majorité absolue… Il se donna une semaine de réflexion, preuve qu’il n’avait pas d’idée préconçue.
Il avait exposé sa pensée lors d’une conférence de presse le 16 mars 1950 : « Je crois, en effet, à l’importance du mode de scrutin. Mais à mon sens, cette importance est tout à fait secondaire par rapport à celle du régime. Nous avons expérimenté, nous Français, tous les systèmes électoraux et aucun n’a jamais pu compenser la malfaisance du régime des partis. » Constat parfaitement illustré par la situation actuelle. Il avait, au demeurant, souligné : « En particulier, c’est une aimable plaisanterie que dire, comme on le fait parfois, qu’il suffirait en France d'un système majoritaire pour que l’État soit régénéré. » À René Mayer, homme politique radical-socialiste bien oublié aujourd’hui, qui l’entretenait de ce mode de scrutin, il avait déclaré : « Quand donc comprendrez-vous que mon ambition n’a jamais été d’être le chef d’une majorité ? » (cité par Jean Lacouture dans son ouvrage De Gaulle, tome 1). Il manifestait par là qu’il entendait se situer hors du jeu partisan, au-dessus ou au-delà. Dans une posture somme toute royale, car il estimait qu’il tirait sa légitimité - concept monarchique - de son action durant la Seconde Guerre mondiale. La justification par l’Histoire contre la logique des combinaisons partisanes.
À mille lieues des préoccupations des Français...
Il demeure que le mode de scrutin structure la représentation nationale. Pendant des décennies, le scrutin majoritaire a, de fait, exclu le Front puis le Rassemblement national de la représentation parlementaire. Ce qui constituait pour le moins une anomalie démocratique pour un parti représentant environ un quart des électeurs. Aujourd’hui, le scrutin majoritaire, alors que cette formation représente plus du tiers de l’électorat, lui a permis d’avoir le premier groupe à l’Assemblée nationale, mais les alliances de second tour, contre-nature et contre toute cohérence politique, ont permis d’empêcher qu’il obtienne une majorité absolue. De surcroît, au mépris de toute honnêteté démocratique, la réinterprétation du règlement intérieur de l’Assemblée nationale a permis d’exclure ce groupe de toutes responsabilités dans le fonctionnement des instances de celle-ci.
Ce qui démontre que tenter de mettre au point un mode de scrutin plus représentatif, mais qui permette néanmoins la constitution de gouvernements stables, est évidemment légitime mais, comme le constatait de Gaulle, ne saurait suffire à restaurer un État fort au service de la France et des Français quand le système n’hésite pas à violer tous les principes de la démocratie lorsque celle-ci ne produit pas les résultats électoraux escomptés.
C’est donc tout le système de pensée, de fonctionnement, d’habitudes, d’administration qu’il convient de renverser afin de redresser la France. Le changement du mode de scrutin est peut-être au centre des préoccupations des partis, mais à mille lieues de celles des Français, qui aimeraient pouvoir vivre en sécurité, travailler et entreprendre en paix, sans être sans cesse entravés par l’action de politiciens fébriles qui ont fabriqué un État aussi pesant qu’impuissant à régler les problèmes auxquels ils sont confrontés. Plutôt que de prendre le parti des partis, quand prendra-t-on enfin le parti de la France ?
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28 commentaires
De Gaulle a supprimé la proportionnelle afin de mettre un terme à la politicaillerie des partis. Aujourd’hui on veut la remettre, tout au moins certains. Le bazar est pour bientôt.
Difficile de faire mieux pour remettre « l’église au centre du village ». Cependant, je me permets de remettre ce commentaire de M. Schoetl, ancien secrétaire général du conseil constitutionnel, que j’ai soigneusement conservé depuis sa parution dans le Figaro du 12 septembre 2024:
L’instauration de la proportionnelle serait le dernier clou dans le cercueil de la cinquième république : « si elle se réalise, l’instauration de la proportionnelle serait l’une des conséquences chaotiques de la dissolution. Elle affecterait profondément notre système politique, compromettrait les chances d’un retour aux alternances bipolaires de majorité qui avaient fait la force des institutions de la cinquième république. Ce pourrait être la dernière pelletée de terre sur le cercueil de cette dernière. »
Et il cite comme exemples de mauvais fonctionnement la Belgique, l’Espagne et Israël, sur la proportionnelle intégrale : « elle ne ferait qu’augmenter les risques de majorité introuvable et de tyrannie des groupes charnières. »
Quant aux « doses » de proportionnelle, elles constitueraient deux sortes de députés, les uns ayant obtenu la confiance des électeurs sur leur personne, les autres ne devant leur élection que pour avoir été suffisamment bien placés sur une liste. Où est dans ce cas la « volonté générale » ?
Nos élus feraient mieux de revoir les attributions de sièges en considération des recensements et non des inscriptibles sur les listes électorales…
» le système n’hésite pas à violer tous les principes de la démocratie lorsque celle-ci ne produit pas les résultats électoraux escomptés. » Tout est dit. Détail supplémentaire : ces moeurs n’ont rien d’une démocratie, mais tout d’une dictature totalitaire, même si masquée.
Un parlement devenu la chambre d’enregistrement de Bruxelles et dont las parlementaires sont donc désoeuvrés et en surnombre ne peut que ressembler à une cour d’école.
La grandeur de la France ne pourra passer que par la sortie de la tutelle UE.